Cinquante trois ans de guerre civile. Il faut le faire, quand même. Mais il faudrait surtout en sortir, et la guerre, c'est le genre de petite manie tenace qui vous empoisonne durablement la vie. Malgré le prix Nobel de la paix du président colombien et des accords de paix retentissants, les fractures de la société colombienne ne se résorbent pas vraiment. Vous me direz, comme celles de toutes les autres sociétés, le temps n'étant guère à la concorde. Sauf que, une fois qu'on a pris le parti de la guerre, on ne peut plus s'en défaire. En cela la Colombie est exemplaire. C'est touchant d'entendre, dans ce reportage bien mené, des paysans se lamenter d'être encore plus misérables que les personnages de Cent ans de solitude, de García Márquez, autre prix Nobel local. D'abord parce que les paysans colombiens ont des lettres, mais surtout parce que le boom littéraire des années 60 a eu le temps du prendre du plomb dans l'aile et voit sa deuxième génération d'écrivains pointer son nez, tandis que les balles continuent à siffler à Macondo. Enfin, sous une forme plus perverse qu'auparavant, puisque les guérilleros des FARC, décidés à renoncer au combat social par les armes, se font désormais dézinguer à bas bruit par des opposants discrets mais efficaces. Le documentaire laisse ces assassins dans l'ombre et met plutôt en lumière des guérilleros en reconversion sur le terrain politique traditionnel et leurs adversaires dans les urnes. En donnant l'impression que les dés sont pipés et que les Révolutionnaires peineront à trouver une place dans l'échiquier démocratique. Finalement, c'est un aristocrate désabusé qui rafle, à mon sens, la mise dans cette mise en scène du pugilat politique colombien : nostalgique de l'époque où ses semblables régnaient sans partage sur le pays, il voit petit à petit son influence grignotée par les tiraillements entre intérêts contraires et préfère noyer dans l'alcool ses réflexions amères. Une manière pour les auteurs de suggérer que la cause d'une Colombie debout et fonctionnelle, après ces 6 décennies de carnage et de déplacement de millions de citoyens pris dans une nasse, serait un mirage inaccessible ? Le tableau n'est certes pas très engageant. Mais si la Colombie et la Palestine finissent par s'en sortir, il se pourrait bien que nous finissions tous par nous en sortir... ces enjeux gigantesques méritaient bien une heure trente de reportage.