COLOMBIE
Je vais vous faire une confidence : voici bien longtemps, je devais aller en Colombie au titre de l’aide au développement ferroviaire dans ce pays… Quelque temps avant les préparatifs de départ, l’opération fut annulée par le gouvernement français en raison des troubles qui agitaient la vie là-bas et des risques qui auraient pesé sur le personnel en mission…
*«T’as voulu voir la Colombie, et t’es resté en France » eut chanté Brel ! Voilà pourquoi je n’ai au final jamais vu ce pays et manifesté d’emblée un intérêt particulier non dissimulé pour ce reportage de la série « Des trains pas comme les autres, » deuxième opus 2018. Ecrit par Philippe Gougler et Nicolas Boer, c’est un régal puisque que dixit Philippe : « En Colombie le train c’est sportif et on va de surprises en surprises ! Il y a les montagnes, les précipices, les transports qui ressemblent à des ascenseurs, bref, si ce n’est plus un moyen de transport domestique, les trains qui subsistent sont bien le plus sûr moyen d’aller vers le cœur des colombiens…
ANTIOQUIA : Philippe Gougler depuis les sommets de cette région nous révèle qu’en regardant bien, plus bas, on aperçoit une voie ferrée qui la sillonne la ville ! Une pépite de curiosités ? En redescendant, on s’aperçoit qu’elle longe un bâtiment qui ressemble à une gare. Là des gens attablés semblent attendre le train ! Le train ? Le mot fait sourire nos « voyageurs » : ici, il n’y en a plus depuis belle lurette ! Pourtant la voie ferrée est toujours en activité et on ne sait trop à quelle heure arrivera quoi.
Soudain, stupéfaction on voit surgir une espèce de plateforme à roulettes bricolée avec des sièges de six ou sept places, et protégée de la pluie par un plafond toilé : une baladeuse comme on appelle ça chez nous, et le curieux engin est mû par une étrange motocyclette dont le pneu arrière repose sur le rail, avec une structure avant solidarisée du wagonnet ! Ca s’appelle ici des« motomesas » un peu à la manière des vélos-rails que nous connaissons mais sans pédaliers. Ils sont appréciés des voyageurs car on roule "à l’air libre", et le trajet d’une heure de bout en bout n’est pas désagréable. Dangereux certes, mais pas désagréable. Car il y a parfois des déraillements ou des risques de nez à nez ou de rattrapage ! Justement, un autre engin se profile à l’horizon. Fait lui aussi de bric et de broc mais sans motorisation. Son chauffeur fait avancer le wagonnet avec une perche un peu à la manière des gondoliers à Venise ! Ici, le colombien explique qu’avec sa planche, pour quelques pesos, il fait le livreur comme maintenant où il achemine un bidon d’eau pour quelques pesos. « Ici, la planche c’est la voiture des pauvres ! » confie-t-il. Le code ferroviaire de la ligne impose au moins rapide de laisser place à l’autre et nos voyageurs vont aider au déraillement de l’engin précédent puis à sa remise sur rails. le tout dans la bonne humeur générale ! Du sport en prime ! Plus loin, ce sera au tour du motomesa de Philippe d’être ainsi déménagé : cinq autres arrivent en sens inverse ! Bref c’est l’heure de pointe et de l’embouteillage ferroviaire ! Le connaisseur ferroviaire pourra s’étonner : la voie est sur traverses en béton, (et non en bois) et semble ballastée d’une manière moderne, et le rail en parfait état ! Pas même rouillé !
Dans la petite cité de Jardin, on se lève tôt ici : il n’est pas loin de 6 heures, devant des bâtiments au style colonial sur la place du village, chacun prend un café (colombien) avant d’attaquer la journée. L’ambiance est bon enfant, propice aux discussions. Soudain une Jeep arrive sur la place et emmène notre reporter et quelques ouvriers : tous se rendent vers une exploitation agricole où se trouvent des bananeraies pour le moins pittoresques : les arbres sont plantés sur les parois vertigineuses des montagnes, et retenus à la verticale par des cordes ou câbles ! Cette situation inclinée rend les sols très fertiles car l’eau ne stagne pas aux racines des bananiers. Quant aux régimes de bananes-plantain,, ils sont ensachés sous une bâche plastique pour ne pas être attaqués par insectes, oiseaux, et ainsi ne pas avoir leur peau tâchée. De plus l’ensachage favorise le mûrissement. Quant à la récolte, elle est on ne peut plus simple : on coupe la corde de retenue, l’arbre se casse en deux et il n’y a plus qu’à ramasser le régime. Il en repoussera un autre l'an prochain.
Mais seulement voilà, la manutention du lourd fardeau en altitude nécessite un tour de main, différent selon qu’on monte ou descend, et en jouant sur l’inclinaison du corps et la position du fardeau : 15 kg quand même à manutentionner ! Un job qui n’intéressera décidément pas Philippe ! La Jeep s’arrête en haut d’une montagne mais l’exploitation agricole se trouve sur l’autre versant et aucune route ne permet d’y arriver ! Quant au cheminement piétonnier, il faut plusieurs heures pour l’accomplir ! Pour les plus intrépides, il y a un moyen de transport aussi effrayant que les manèges à sensations fortes : « les garruchas » ! Un hybride de téléphérique et de mandoline qui est suspendu par des câbles et se dandine au dessus du gouffre, permettant d’en apprécier le panorama … pour ceux parmi les plus courageux qui osent regarder en bas ! Pour faire venir la cabine à claire-voies, on cogne un rocher contre le support de câbles : Gustavo, le propriétaire agricole d’en face, entend l’appel grâce au bruit qui se répercute comme sur le fil d’un téléphone et le patron met le moteur en route. Pour mettre en confiance Philippe, un des ouvriers lui confie: « la première fois que je suis monté là-dedans, je me suis uriné dessus »! Le journaliste, un brin inquiet, avoue : « ça bouge, on a peur ! Bon on ne va pas trop réfléchir et de toute façon pas moyen de se retenir à quoique ce soit sinon ses cheveux ! Le panorama est superbe mais on ne va pas trop regarder car il me tarde d’arriver ! » L’atterrissage sera un peu « délicat », mais sans encombres !
BOGOTA : on se trouve ici sur la plus haute montagne de la Cordillère des Andes. C’est la troisième ville la plus haute du monde qui culmine à 2600 m de haut ! Le plus beau panorama est aperçu du haut d’un funiculaire qui vous élève à 3 200 mètres d’altitude et qu'on découvre depuis le "Cerro de Monserrate" ! Le conducteur prévient : « les oreilles vont se boucher, et lorsque vous serez tout la haut, il est conseillé de ne pas faire d’efforts et de marcher tout doucement pour permettre au corps de s’adapter à l’altitude. » Le funiculaire rénové, au toit transparent, est une rareté : il permet de s’affranchir de rampes de 80 % se rapprochant plus de l'ascenseur que d’un train ! Bogota, au passé trouble, constitue une alternance de quartiers divers. La fréquentation de la place Bolivar est cosmopolite, représentative d’un pôle économique de premier ordre… Sur la place, de petits groupes semblent négocier et parlent à voix basse : ils plient et déplient des feuilles blanches semblant contenir quelque chose : un trafic louche ? De la drogue peut-être ? En fait non, et rien d’illégal : on négocie ici des émeraudes, parmi les plus pures du monde ! Philippe s’informe sur les raisons de ce commerce à ciel ouvert ! Un vendeur lui explique qu’il en voudrait 2,5 millions de pesos alors que l’acheteur ne lui en donne que 2,2 millions. Le client explique : « Moi de temps à autre, j’aime bien m’offrir une belle émeraude comme ça, pour la regarder ! C’est comme si je voyais une belle femme ! » Le vendeur semble surpris par la question de Gougler : pourquoi ne pas vendre ses bijoux dans une boutique dédiée ? « Ici, à Bogota, nous sommes des gens simples, et il n’y a pas de boutiques, c’est vrai. On va négocier nos achats directement à la mine et on se sent mieux ici, à l’extérieur pour les vendre ! On n’est pas de la « haute » nous ! » Et le reporter de s’inquiéter sur les risques : « Vous avez déjà vendu ici une pierre pour 20 MM de pesos, et vous me dites porter sur vous la bagatelle de 200 MM de pesos (soit plus de 60 000 euros) : mais avec cette pierre que je tiens là dans la main, si je pars avec en courant, que se passe-t-il ? » et le vendeur de répondre en souriant « Certes, je ne m’aventurerais pas seul dans les rues adjacentes, mais ici sur la place, tous les vendeurs s’épaulent et s’entre aident : vous n’iriez pas bien loin ! » En face de la place, le café « Pasaje » et nulle trace de gare dans Bogota, encore que… Quand la compagnie de chemin de fer a été fermée et liquidée en 1990, un amateur a racheté une partie du matériel et l’a remis en état de marche (et de présentation) … Et bien sûr, Philippe va les essayer et monter à bord des voitures rouges d’un autre âge ! Cette rame a tout d’un chemin de fer touristique et la rame est pleine d’une foule de voyageurs les plus divers : il y a même un orchestre de trois musiciens à bord. Notre commentateur, le sourire ouvert et engageant, pose sa sempiternelle question, la main tendue : « Bonjour, je peux m’asseoir avec vous ? » (on ne le lui a jamais refusé !) et à peine assis, il constate qu’on ressent toutes les imperfections du rail dans cette rame brinquebalant, ne cachant rien des imperfections de la voie, et dont la vitesse ne dépassera pas 30 km/ h ! Confort spartiate : impossible de s’asseoir sans toucher les jambes d’un de ses voisins tant les banquettes sont serrées ! Un couple fait face à Philippe et explique : « Nous, on fête ici l’anniversaire de ma femme ! Vous comprenez, ici en Colombie, il n’y a plus de trains alors on considère le chemin de fer comme un souvenir, une curiosité, et c’est original ! » Contrairement à son voyage en Corée, notre journaliste est surpris : ici, personne n’est plongé dans son Smartphone, PC ou autre machine diabolique des temps dits modernes ! Une voisine de route lui explique : « Nous, ce n’est pas dans notre culture : personne n’est au téléphone comme vous voyez : on communique « à l’ancienne » : on se touche, on se parle, on croise les jambes (…) C’est représentatif de notre aspect culturel : partager, communiquer, se toucher… » Bref, peut-être le train le plus sympathique de toute l’Amérique latine, mais qui ne va pas très loin (le trajet dure une heure) et qui ne circule que les week-end !
Philippe Gougler tenait beaucoup à voir une autre ville : Medellin, capitale de Antioquia, deuxième ville de Colombie et la seule à disposer d’un métro inauguré en 1995. Les deux lignes totalisent 28,8 km. La ville fut aussi le bastion de Pablo Escobar, roi de la cocaïne, responsable de la mort de milliers de personnes et qui valut en 1980 à la ville d’abriter le cartel de la drogue. Escobar était le criminel le plus riche du monde avec une fortune de 30 milliards de dollars… Il régnait sur ce quartier de la ville avant d’être abattu en 1993. Le gouvernement voudrait faire oublier ce passé peu glorieux et même le nom et l’histoire d’Escobar. Pour d’autres, le caïd continue d’être un héros car il donnait beaucoup aux pauvres. L’un de ceux-ci est venu fleurir sa tombe : il a pourtant lutté contre ses troupes quand il était militaire et y a perdu un bras. Mais il a décidé de tourner la page car la maison qu’il occupe a été construite par le trafiquant et son effigie trône encore sous la forme d’un portrait peint par les jeunes…Un salon de coiffure porte même le nom d’El Patron, le surnom d’Escobar : on voit au-dessus de la porte d’entrée une peinture de Pablo avec une coiffure à l’ancienne, et une autre plus moderne avec une tonsure circulaire. Devant la surprise de Gougler, la coiffeuse confie « un montage photographique ! » Cette fidélité de 25 ans à la mémoire du narco-trafiquant laisse quelque peu circonspect notre journaliste qui reconnaît ne pas s’imaginer qu’il ait pu constituer une sorte de « Robin des Bois » moderne…
La fin du périple ferroviaire s’effectuera à bord d’un métro : le seul, le vrai ici ! Nickel et presque aussi neuf que voici plus de 20 ans lorsqu’il a été créé ! Pas un papier ne jonche le sol ! Ses sièges sont le long des parois, comme dans le VAL de Lille. C’est curieux de constater à quel point les colombiens se sont appropriés ce mode de transport comme s’il leur appartenait en propre ! « C’est notre transport, on le respecte comme on respecte sa famille et on laisse même sa place aux personnes âgées ! » Incroyable : on n’ose plus imaginer ça en Europe. Ultime étape : Carthagènes, coté Caraïbes, qui fut richissime à l’époque de sa situation sur la route de l’or. Un bijou d’architecture pour ceux qui aiment ce style… Le voyage s’achèvera par une visite dans la mangrove où les huîtres vous parlent ! Si, si ! Et elles sont venues se fixer sur les palétuviers amenées là par le courant et aidées par les crevettes sur lesquelles les naissains s’accrochent… comme des wagons ? Selon l’hebdomadaire « La Vie du Rail » (ce n’est pas dit dans le reportage) Le rail aurait un nouvel avenir en Colombie : un projet existe d’une voie ferrée de 41 km desservant 17 gares et reliant les villes de Facatativa au centre de Bogota. Autre perspective, celle de la première ligne de métro de la capitale qui est un peu comme notre arlésienne là-bas, mais promis-juré, cette fois, c’est la bonne ! Peut-être un autre voyage ?
France 5 le 26.07.2018-