Un bon vieux polar de presque 30 ans d'âge, c’est tellement parlant qu’on a une impression familière en lançant ce film, pas forcément une impression de déjà-vu mais plutôt un ressenti, comme si on avait vécu cette époque. C’est un bon exemple de ce que l’histoire retient ou non.
Film sur les gangs de Los Angeles, les fameux Crips et Bloods, et sur les brigades anti-gang de cette même ville, Colors n'a pas spécialement survécu au passage du temps, comme la plupart de la filmo de Hopper en tant que réalisateur d’ailleurs. Il est vrai que la plupart des films de cette époque n'ont plus grand-chose à voir avec la nôtre d’un point de vue formel. La mode, les coiffures, la musique en particulier, sont caractéristiques de la fin des années 80, on les retrouve dans la plupart des films policiers de cette période, y compris les dinosaures dont tout le monde se souvient, comme Lethal Weapon et Beverly Hills Cop.
Sean Penn et Robert Duvall sont donc nos deux acteurs principaux, jouant respectivement les rôles de Danny McGavin et Bob Hodges, deux flics coéquipiers qui bossent ensemble dans une unité anti-gang spéciale, chargée de patrouiller dans les quartiers de Los Angeles et qui tente de freiner l’écoulement de la drogue et la violence des gangs entre les Crips et les Bloods. Sans vouloir spoiler, il s’agit d’un scénario ultra-classique, et on sait déjà à l’avance que le film ne va pas avoir une fin heureuse. Hodges est un vétéran de la force de police, le rôle classique de l’ancien qui fait son boulot calmement, qui connaît les ficelles et est plus porté sur le dialogue et l’arrangement envers les gangsters, avec une femme et des enfants et seulement une année à tirer avant sa retraite. Son coéquipier McGavin , c’est le petit jeunot intrépide au sang chaud, prêt à tout pour faire respecter la loi, qui veut coffrer chaque voyou porteur d'une once de poudre blanche, quelles que soient les conséquences envers sa réputation dans la rue. En gros Duvall = Murtough et Penn = Riggs, voilà pour la base scénaristique.
Le scénario, attardons-nous dessus, car il a son importance, en effet, ici pas de vrai fil conducteur, mais plutôt une série de tranches de vies, le quotidien des quartiers pauvres de L.A., du point de vue des flics, mais aussi, et c’est important, du point de vue des gangs. En effet le scénario de Michael Schiffer évite sagement de filer tout droit dans le manichéisme dont était doté l’Arme Fatale par exemple, en effet, ici pas d’histoire sombre de flic-justicier ténébreux, pas de gentil policier contre les méchants gangsters, pas de violence gratuite, d’enchaînement de scènes d’action conduisant au climax final ramenant la paix dans les rues de Los Angeles. La vérité est que la lutte contre les gangs et les drogues ne se termine jamais, ce n’est pas possible en ce monde. Quand un caïd tombe, un autre surgit à sa place. Hopper semble être au courant de ce détail et se concentre plutôt sur le pourquoi de cette lutte, en donnant la parole, non pas uniquement à ses héros, mais aussi au peuple, aux gens ordinaires qui vivent dans la misère, et pourquoi les jeunes se sentent obligés de rentrer dans cet engrenage, la vision de cette société est assez pessimiste. Finalement c’est un thème qui nous parle à tous, l’enfermement dans un quotidien morne et insipide, et on se surprend à éprouver de l’empathie à l’égard de ces gangsters, alors que la plupart des autres films de ce genre nous auraient présenté ces gens comme d’authentiques salauds, des gens qui tuent pour le plaisir et le fric facile, mais la vérité semble plus complexe que ça.
Là où le film échoue un peu c’est dans le sentiment d'authenticité du dialogue. Il manque un peu cette impression d’agression permanente qu’on a lorsqu’on écoute des vrais gangsters menacer ou s’insulter. En fait les gangsters font très caricaturaux dans l’ensemble, et il manque ce sentiment de guerre, de vraie criminalité dangereuse, qu’a pu par exemple apporter un film sorti trois ans plus tard: Boyz N the Hood de John Singleton. Singleton a grandi à Los Angeles et a une véritable expérience des codes des gangs et du langage de la rue. Son film sentait et sent toujours bon l'authenticité.
La direction de Hopper est sobre et n'a rien de spectaculaire, contrairement (encore une fois) à certaines autres production de l’époque. C'est le drame policier standard. Les séquences d'action sont lentes, mais dans le bon sens du terme, bonne lisibilité et aucune surenchère. Une scène en particulier qui montre de grandes qualités de réalisateur implique une bagarre entre deux hommes dans l'espace exigu d'un restaurant de cuisine. Sans avoir la chorégraphie millimétrée d'autres mêlées cinématographiques, mais en nous donnant vraiment le sentiment que les deux hommes impliqués (et peut-être même les acteurs) sont en réel danger.
Un seul réel défaut peut-être, le rythme, assez inégal, mais en y réfléchissant, c’est un film sur la vie de tous les jours, et le rythme de la vie est lui aussi parfois rapide, parfois lent, on sent tout de même passer les 1h50 de film par moments.
Parlons de deux seconds rôles intéressants de par leurs interprètes. En plus du petit rôle de Don Cheadle, encore tout jeune à l’époque et n'ayant pas vraiment l’occasion de déployer un réel jeu d'acteur dans un rôle assez taciturne. Il y a aussi un tout jeune Damon Wayans, (le papa de Ma Famille d’Abord, pour le replacer) qui était un comédien à peine connu à l'époque (ce film date d’avant la série "In Living Color"). Et déjà à l’époque, c’est le ressort comique du film. Il débarque tel une fausse note au milieu de la partition à chaque scène en essayant de jouer la comédie, c’est vraiment hilarant parfois, et c’est un sacré pari d'en faire un membre d'un gang incapable de rester à l'écart des médicaments, un parti pris plutôt appréciable dans l'ensemble.
La partie la plus intéressante du métrage est la relation entre Hodges et McGavin. Elle commence comme convenu, avec le vétéran blasé et la recrue contrariée de devoir accomplir un partenariat avec toute la tension que cela engendre. Un film conventionnel aurait voulu qu'ils s'entraident au cours d'une confrontation finale pénible avec l'ennemi, gagnent le combat, et en sortent plus fort par la suite. Cependant, comme dit plus haut, le scénario est plus malin que ça, et apporte une touche de réalisme bienvenue, assez satisfaisant.