Le cinéma de Dennis Hopper semble habité par le mouvement, ce même mouvement qui poussait des motards épris de liberté à s’embarquer sur la route 66, celui qui, dans Colors, rythme les altercations entre forces de police et gangs rebelles. Le film manifeste une fluidité remarquable, cultive les plans embarqués en voiture et pénètre dans tous les milieux qu’il tisse les uns aux autres de la même manière que les protagonistes se répondent entre eux : le jeune Danny McGavin fait de son supérieur un modèle à suivre auquel il emprunte, post mortem, la fameuse blague à rallonge, il entretient une relation amoureuse avec Louisa Gomez, d’origine mexicaine, et dont il ignore la profession, ce plus vieux métier du monde qui la raccorde aux groupes afro-américains. Tout le monde se côtoie, tout le monde se tire dessus, et ce que la caméra du cinéaste réussit parfaitement à capter, c’est l’entrelacs des contraires : il suffit de quelques secondes pour qu’une fête vire au drame, de la même manière que les descentes de police dans les quartiers chauds occasionnent des fuites en masse.


Les corps sont bodybuildés, ils se travaillent, s’accouplent et se refroidissent aussitôt, laissant au passage couler ce liquide rouge qui, dès le titre du long métrage, imprègne l’écran. Entre la bombe de peinture acrylique et l’explosion de sang, il n’y a qu’un pas. Hopper saisit cette culture de la violence qui gangrène Los Angeles sans placer entre elle et sa représentation une grille idéologique ou axiologique : le jeune flic a toutes les caractéristiques du loubard et pourrait, dans d’autres circonstances, se retrouver de l’autre côté à balancer des cailloux sur les voitures des forces de l’ordre. Colors est un film qui atteste à la fois l’impossibilité à faire communauté et la propension de la violence à créer de la communauté, une communauté instable et qui trouve justement dans cette instabilité la condition d’une vigueur perpétuelle.


En mêlant hip hop, rap et images pieuses – la Vierge a son autel, le Christ est affiché sur un mur, les funérailles rassemblent les proches de la victime –, Dennis Hopper livre une œuvre mobile et incandescente qui, au-delà de constituer un beau moment de cinéma, témoigne d’une réalité politique et sociale inscrite dans son temps (la fin des années 80) et qui résonne toujours avec notre actualité.

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le 5 mars 2020

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