Ivan Zuccon a beau travailler en marge des Gabrielle Mainetti, ou Matteo Garrone, le réalisateur s’est fait une petite notoriété dans le ghetto underground. Le succès de ses films (The Skunned House, Nympha, Bad Brains) confirme bien que le cinéma fantastique transalpin est entrain de reprendre des couleurs dans le paysage audiovisuel européen. Et cela tombe bien, puisqu’il est justement question d’une couleur tombé du ciel avec Colour From the Dark, venant conclure une trilogie lovecraftienne initié par Darkness Beyond. Huit ans après, les efforts ont portés leurs fruits, et on peut dire que le cinéaste a fait beaucoup de progrès contrairement à d’autres de ses confrères d’outre Rhin (Timo Rose, Andreas Bethman pour ne citer que ces deux-là). Cela se voit d’emblée à l’écran, avec ses nombreux travelling et mouvements de caméra. Ce n’est pas parce qu’il tourne en DV que cela doit l’empêcher de soigner ses effets de mise en scène. On peut d’ailleurs constater que le cinéaste s’est entouré d’une vrai équipe professionnelle, bénéficiant d’un savoir-faire dûment acquis en dépit d’un budget dérisoire d’à peine 100 000 dollars. C’est peu au regard des ambitions du projet même s'il faut bien dénoter quelques effets numériques moins convaincants par moment. Le réalisateur a même pu s’attacher les services de l’ancienne tromette Debbie Ronchon. Outre sa plastique irréprochable, cette dernière nous montre toute l’étendue de ses talents, évoquant à bien des égards l’actrice Eva Green. Michael Segal n’est pas en reste dans le rôle du patriarche déchiré qui tente de subvenir aux besoins de son foyer.


Pietro et sa femme Lucia vivent une existence paisible loin des heurts et tourments du champ de bataille. Leur quotidien est constitué de dur labeur auquel s’ajoute le fardeau d’Alicia la jeune sœur autiste et muette qui souffre vraisemblablement de quelques phobies liés à son environnement. Le puits familial fait des bulles comme dans un jacuzzi et des lueurs bleutées s’en dégage la nuit. À part cela, l’eau est tout à fait consommable et rafraîchissante, permettant aux plants de tomates, poivrons, courges et potirons de cloîtrent comme s’ils avaient bénéficié d’une cure d’OGM. D’ailleurs, les bienfaits de cette eau vont permettre à Pietro de soigner son handicape au genou, et à Alicia de retrouver la parole. Mais les miracles seront de courtes durées, car le patriarche verra son environnement peu à peu se déliter et sa famille sombrer dans la folie. Les gros légumes bien juteux finiront par se flétrirent, les murs de la maison vont se mettre à pourrir, tandis que son épouse possédé se transformera en véritable goule sauvage totalement impassible aux crucifix et aux exorcismes. Pour autant, Colour From the Dark ne s’apparente pas à un simple film de possession tant son réalisateur a mis l’emphase sur la dimension horrifique et sur son atmosphère aussi bien délétère (les juifs sont dénoncés et chassés par les nazis) que mortifère (l’environnement sera peu à peu réduit à l’état de cendres).


Si le film souffre parfois de son éclatement narratif, le réalisateur a choisi de mettre en place une chronologie délimitée sur une semaine afin de ne pas trop égarer le spectateur en cours de visionnage et d’accentuer la descente aux enfers de ses protagonistes. À peine pourrions-nous lui reprocher un rythme indolent, la faute à une mise en scène lancinante, privilégiant une horreur latente traversée par des hallucinations, réminiscences et séquences oniriques. On est clairement dans l’héritage du cinéma de Lucio Fulci. Ivan Zuccon est également parvenu à tirer le meilleur partie de son décor afin d’accentuer la décrépitude ambiante et le sentiment d’isolement face à un mal insidieux se diffusant dans le cadre à mesure que les personnages s’inoculent le poison. La photographie blafarde aux tons grisâtre parfois relevé par des éclats luminescents s’inscrit parfaitement dans le giron de cette adaptation reprenant l’essence de la nouvelle d’origine. Pour rappel, l’intrigue s’intéressait déjà à la lente déliquescence d’un environnement et de ses habitants en raison de l’influence néfaste d’une météorite. La Couleur tombée du ciel est la quintessence même des œuvres du maître de providence. Il s’agit de la manifestation d’une force cosmique antédiluvienne, issue des confins de notre univers et vouén à entrer en collision avec notre monde, engendrant moult dégénérescences et abominations. Ici le mal prendra sa source d’un puits, comme s’il était déjà enraciné depuis tout ce temps et ne demandait qu’à être enfin libéré. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien si le cinéaste a choisi d’inscrire son récit dans le contexte tourmenté de la seconde guerre mondiale. Il ne sera donc pas seulement question de la décomposition d’une famille, mais bien de faire écho au passé trouble d’un pays autrefois dirigé d’une main de fer par Mussolini. De l’échec du socialisme découlera ainsi une nouvelle montée du fascisme ne laissant que désolation, mort, et désespoir dans son sillage de cendre et de fumée.


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le 24 oct. 2024

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