Non-lieu commun.
Le défi qui se pose à David Mackenzie est le suivant : comment appréhender les clichés qui vont inéluctablement saturer son récit ? Road movie, braquages, traque, fuite en avant, paysages, rien ne...
le 3 déc. 2016
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Toute une série d'activités, à priori relativement saines ou inoffensives, peuvent se révéler dangereuses, voire mortelles, lorsqu'elles sont pratiquées en état d'ivresse. Les plus connues sont même encadrées par la loi
J'aurai donc dû me méfier.
D'autant que j'avais un antécédent assez fâcheux: un soir de 2014, j'avais aimé, peut-être de manière déraisonnable, un bien mystérieux under the skin à la suite d'une séance collective mémorable par le nombre de verres de whisky descendus avant la diffusion du film. Le contexte était d'ailleurs parfaitement comparable cette fois encore pour Comancheria: un match de foot entre potes et enfants, et hop, un film récent et à priori intéressant, sur grand écran, pour faire glisser le tout.
Une semaine après la projection, je n'arrive pourtant pas à me persuader que la qualité du breuvage ingurgité avant et pendant le film tienne une part prépondérante dans mon transport émotionnel. Je suis même assez sûr que le quasi parfait travail de David Mackenzie est majoritairement responsable de mon ivresse cinéphilique. Mieux: là ou l'alcool peut dramatiquement remettre en question une stabilité physique, Comancheria a eu pleinement tendance, par la justesse de son écriture, de son interprétation et de sa mise en scène, à imposer son équilibre saisissant (après tout, n'oublions jamais que la réalité est une illusion causée par le manque d'alcool).
La sobriété par l'art. Le redressement par la manière.
(à moins que l'alcool n'ait abattu mes remparts critiques ?)
Un parfait équilibre, comme l'air
Il y a presque du HBO grande époque dans la façon qu'à la scénario de suivre les deux couples de l'histoire (deux frères malfaiteurs, un duo de flics antagonistement complices). En permanence filmés et racontés à la même hauteur, il est impossible de trouver chez les uns plus d'empathie ou d'humanité que chez les autres. Du coup, et très rapidement, ce n'est plus tant l'issue de la course poursuite qui devient un enjeu, que la façon dont chacun se sortira moralement et socialement de l'affaire. La mort, qui frappe sans héroïsme et par surprise, ne vient à aucun moment s'abattre comme un jugement supérieur ou immanent. Elle n'est rien d'autre que le fruit de la violence des pulsions irraisonnées des hommes.
Cet équilibre, on le retrouve un peu partout dans la conception du film. A une distribution lumineuse qui va nicher sa maitrise jusqu'au choix des plus obscurs seconds rôles, la mise en scène de Mackenzie répond par une épure et une retenue d'une facture pratiquement classique qu'il devient rare de déguster. A ce titre, le premier plan, assez magistral par sa façon de tourner autour d'une banque et de tous les protagonistes qui vont y intervenir, ne semble déployer ses artifices très composés que pour mieux souligner la sagesse de ce qui va suivre. Le réalisateur semble nous dire que s'il sait comment composer un mouvement complexe, la suite sera strictement cadrée à dessein: l'histoire de ces quatre personnages n'aura besoin de rien d'autre que ces intérieurs nets et ces panoramiques à la photographie aussi discrète qu'irréprochable. Et comme d'habitude, entre deux chansons à la sonorité texane attendue, la b.o. toute en rude délicatesse des génies Ellis et Cave vient finir d'emballer l'ensemble avec la classe habituelle du duo.
L'équilibre, encore, dans l'écriture. Taylor Sheridan réussit comme peu de ses contemporains à décrire l'époque perdue qui est la notre, capable de rendre l'élection d'un Donald Trump sinon normale, au moins équivalente à toute autre, par une série de dialogues assez fulgurants, comme autant de touches impressionnistes diablement efficaces. Sur le racisme profond et ordinaire ("de quelle couleur étaient les agresseurs ?" "Vous voulez dire leur couleur de peau ou leur couleur d'âme ?"), sur la situation économique du pays (entendre la courte tirade d'Alberto sur la façon dont les banques ont poursuivi le travail des blancs du 19ème siècle à l'encontre des indiens) ou sur des tas d'autres aspects (l'alcoolisme, justement, ou la banalité de l'usage des armes), l'histoire de cet homme ayant accumulé assez d'erreurs pour devoir braquer une série de petites banques (la première un tout petit peu importante représentera le bout du chemin a bien des égards) pour ne rien faire d'autre que simplement se réinsérer dans le système, est en soit parfaitement éloquente.
J'aime ne pas vérifier la filmo d'un réalisateur actuel avant de voir un film, contrairement à ce que je pratique en général pour les grands anciens. J'ai ainsi pu découvrir après coup que Mackenzie est aussi l'auteur d'un film que j'avais déjà en son temps particulièrement apprécié, Perfect Sense. Ceci est plutôt réjouissant. Se dire que l'on a désormais un nouveau cinéaste à suivre est loin d'être fréquent. C'est même presque enivrant.
Whisky !
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Normalement, avec un personnage de vendeur de voitures, t'as peu de chances de pondre un chef d'oeuvre. Mais certains films s'en sortent mieux que d'autres..., Mon père, ce bourreau, Mon polar, je le prendrai noir, sans espoir, pas forcément bavard et pourquoi pas un brin vicelard., C'est mon dernier mot, Jean-Pierre et Nick fuckin Cave
Créée
le 7 déc. 2016
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