Les réalisations de Joel Seria sont comme du Blier (Buffet froid, Les valseuses), en moins contemplatif, plus pressées d'allez droit au but. Plus paillardes aussi, mais pleines d'esprit et de distance, à l'instar de ce Comme la lune. Dans cette comédie de 1977, Roger (Jean-Pierre Marielle) est un fringant quarantenaire vivant avec la jeune Nadia (Sophie Daumier), une bouchère plutôt fortunée qui ne lui demande que d'être un amant vigoureux.
Leur relation donne une certaine idée du bonheur, avec une définition restrictive et toutes les cases cochées à fond : succès financier, gain matériel, liberté d'action totale, pas d'ordre moral ou de contraintes extérieures ; et satisfaction sexuelle avec la belle nympho. La seule ombre au tableau, c'est le ménage originel de Roger : il a quitté femme et enfant pour Nadia et n'est pas tellement à l'aise avec cette réalité. Il n'aime pas sa femme mais il éprouve une culpabilité profonde.
Pour le reste, il incarne avec férocité un certain style de franchouillardise. Ce n'est pas un beauf étriqué ou un péquenaud régressif ; c'est un homme décomplexé, sans-gêne, tranquille et sûr de lui, grossier plutôt que vulgaire, négligent plutôt qu'impoli. Insidieusement se dessine le fantasme d'un sympathique homme du quotidien : celui qui agirait comme le petit complément pour parfaire une aimable vie ordinaire, pleine de plaisirs simples et de devoirs gratifiants, à commencer par celui de diriger sa famille.
Sous les costumes et papiers peints affolants des 70s, où la laideur et la sophistication se tirent la bourre, que de tensions sourdes, de rêves et de frustrations, d’héroïsme et de petitesse. Ce ne sont pas des opposés venant donner dans la nuance, ce sont des dynamiques. Quand le coq égratigné redonne confiance à une femme amère (Dominique Lavanant dans l'un des meilleurs rôles de sa carrière), Roger trouve la libération dans une sorte de résignation. Une bonne crise peut s'avérer salutaire.
Comme la lune ne serait pas si valable sans la performance de Jean-Pierre Marielle. Même sans elle, il doit encore être vu pour ses dialogues et son point de vue pénétrant. Car c'est un genre de Fight Club, où est taillé un surhomme un peu grotesque, incarnation rêvée d'un Mr-tout-le-monde, fabriqué avec un imaginaire très structuré mais poussif, dépendant des contingences sociales et donc en premier lieu des modes de l'époque.
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