J'aurais pu commençer par un "Comment c'est bien" que sûrement déjà trop de journaux ont titré. Mais non. Ce serait trop simple. Et si le premier long d'Orelsan a l'air d'une banale simplicité, c'est loin d'être le cas.
Messager d'une génération qui la première a appris le sens du mot "procrastination", Orelsan brode autour des mêmes sujets depuis 2 albums, dira-t'on. Mais notre génération elle-même ne tendrait pas à tourner en rond ? Chaque chanson des Casseurs Flowteurs, comme beaucoup du dernier album d'Orelsan, parle aux enfants de années 80/90, les seuls d’ailleurs à capter les références dont est truffé leur flow (même si beaucoup, malheureusement, restent rebutés par l'aspect "rap" de la chose) Nos doutes, nos errances, nos colères vaines, notre abandon... Son film aussi, du coup.
C’est l'histoire de deux potes blasés dans une ville morne, situation autobiographique (romancée?), qui cherchent à finir une chanson. Le pitch est simple, peu de chance de s'y reconnaître au premier abord. Et pourtant. C’est là que le sens de la formule d’Orelsan opère. Au détour d’une situation invraisemblable, une phrase fait mouche, nous éclate en pleine gueule. Et ça nous parle. Ce film, on n'en sort pas complètement indemne.
Pourtant, c'est bien une comédie gagesque, avec des vannes qui marchent (la blague du canard, je ne m’en remets toujours pas) Moins vulgaires que d’habitude, mais pas plus spirituels pour autant, Orel et Gringe nous font marrer avec leurs réflexions idiotes, leurs habitudes de presque chômeurs paumés (qui réchauffe de l’Ice Tea au micro-ondes, dites-moi ?) et leur regard sur le monde qui n’appartient qu’à eux. La voix blasée d’Orelsan, qui en agace plus d’un, est contre toute attente un formidable outil comique. Ca change des comédies ronflantes et poussives. On a même l’inverse, je dirai. Une comédie lascive, nonchalante, où les mecs sont conscients de leur potentiel, mais n’en jouent pas.
C’est d’ailleurs là que se cache toute l’ironie de ce film. L’histoire de 2 branleurs, qui n’en branlent pas une pendant tout le film, racontée à une génération de branleurs... par des mecs qui bossent. Des mecs productifs, créatifs, intelligents, qui racontent la quête d’une chanson difficile à terminer en nous balançant en chemin une dizaine de chansons parfaitement abouties. Ces mêmes chansons que les protagonistes n’arrivent pas à pondre. Ne pas se lancer, parce qu’on prend le risque d’échouer.
Et ce film-là est loin d’être raté. Bien sûr, il est bourré de défauts, notamment avec sa réalisation un peu hasardeuse qui se permet des raccords pas très heureux. Mais c’est un premier film, un début et quand on a une histoire à raconter, et bien on pardonne. Parce qu’un scénario original, c’est suffisamment rare pour être souligné. Ces deux caricatures (le gentil mec blasé et le coureur de jupons instable) sonnent tellement plus vraies que bien des personnages que le cinéma nous a proposé ces dernières années, comme cette galerie de personnages secondaires touchants.
Touchant, oui. Le mot peut surprendre quand il s’agit d’Orelsan, mais c’est celui qui qualifie à mon sens le mieux ce film. Une tranche de vie émotionnellement forte, d’une vie qui n’est pas tout à fait la notre, et pourtant pas si éloignée. Qu’il continue maintenant à faire de son mieux, parce qu’on a bien besoin de cinéma comme ça.