Par Jérôme Momcilovic
Sur le banc des remplaçants, un champion de baseball (Owen Wilson, décidément génial) a la tête ailleurs, il rumine un problème de cœur. Tempête sous un crâne : tombeur professionnel, il est sous le charme d'une fille dont l'irruption bouleverse son agenda sentimental, réglé d'ordinaire par le défilé quasi-militaire des coups d'un soir. Cette fille-là (Reese Witherspoon, toujours parfaite) lui fait plus d'effet que les autres, il y pense un peu trop alors c'est, peut-être, qu'il en est amoureux. Mais comment savoir ? Un coéquipier se dévoue pour l'éclairer, mais sa réponse tarde à venir. Le type, butor aux yeux d'enfant, se tortille sous sa casquette, hésite à se confier, et puis au bout de ces tergiversations explique qu'il se considère amoureux chaque fois qu'il met une capote avec les autres filles. La confidence fait mouche, bon sang mais c'est bien sûr, le champion est amoureux.
Plus tôt, une autre scène, entre la star du baseball et la fille, sportive elle-même, championne de soft ball contrainte à une retraite forcée. Sur le perron de l'immeuble cossu qu'il habite, il voudrait convaincre la fille de monter, mais la fille hésite. Wilson alors fait trois pas en arrière, et à la fille qui s'en étonne, il explique : « I wanna give you room to think ». L'idée est magnifique et la scène pourrait s'arrêter là, mais le plus beau est à venir. À côté d'eux il y a le portier de l'immeuble, gêné d'être là, encombré de sa présence involontaire au milieu de ces négociations sentimentales. Lui aussi hésite un moment, et avec cette hésitation c'est toute la tension de la scène qui vient peser sur ses épaules. Jusqu'à ce que, diligent, il recule à son tour, libérant le périmètre censé aider la fille à prendre sa décision.
Il y a dans le film des scènes plus belles encore, mais avec ces deux-là s'éclairent, à la fois le moteur précieux de l'œuvre de James L. Brooks, et aussi le malentendu à quoi il semble condamné. C'est d'abord un malentendu d'ordre général : James L. Brooks est un des plus grands cinéastes américains en activité, et chez nous presque personne ne le sait, presque personne ne veut le voir. On le connaît principalement pour un film, Pour le pire et pour le meilleur, qui est beau mais n'est pas son meilleur, tandis que son chef-d'oeuvre, Spanglish, est passé à peu près inaperçu. Rendez-vous encore manqué avec celui-ci, qui reçoit un accueil glacial. Plus étonnant : Comment savoir a fait un bide auprès du public américain, qui pourtant vénère Brooks depuis son premier film (Tendres passions, mélo splendide qui à l'époque avait fait carton plein aux Oscars), et aussi, beaucoup, parce qu'il est le co-créateur et scénariste régulier des Simpsons. Quelque chose, visiblement, ne passe pas, de la prodigieuse intelligence des films de Brooks, de leur finesse sans égal. (...)
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