Critique : Compliance (par Cineshow)
Rappelez-vous, il n’y pas si longtemps, une émission de télévision proposait à des invités d’appuyer sur un bouton pour donner une charge électrique à un autre candidat. Bien évidemment, il s’agissait d’un « fake » qui consistait à prouver la capacité de l’être humain à se laisser mener par une autorité, quitte à franchir les lignes morales et éthiques si une récompense était à la clef. Un comportement assez fou qui fut particulièrement étudié par Stanley Milgram dans les années 60, un chercheur qui mena une série d’expériences socio psychologiques sur la thématique. Des « professeurs » volontaires devaient alors infliger ce qu’ils pensaient être des électrochocs à des « élèves » lorsque ceux-ci donnaient de mauvaises réponses, et ce malgré leurs prétendus problèmes cardiaques (il s’agissait en réalité d’acteurs payés pour jouer le rôle). Les résultats montraient que 65% des volontaires ont fait subir l’électrochoc de 450V. Et Milgram d’ajouter « De plus, alors même que deviennent évidents les résultats dévastateurs de leur travail, très peu d’entre eux auront la force nécessaire pour défier l’autorité si celle-ci leur demande d’entreprendre d’autres actes incompatibles avec des règles morales élémentaires ».
Pourtant, Compliance de Craig Zobel n’est pas basé sur cette étude et encore moins sur un scénario de fiction, mais bien sur une tragique et glauque série de fait divers survenues aux USA il y a quelques années. Le film est introduit par la mention « inspiré de faits réels ». Une mention ordinairement ajoutée par les services marketing pour donner du piquant, mais qui ici se trouve au cœur de la tension provoquée par les images. Car sans être prévenu, ou sans la présentation du contexte, il y a fort à parier que vous n’accorderiez aucune crédibilité à l’histoire tant cette dernière franchie les limites de l’acceptable. Impossible, improbable, totalement fou, c’est un peu les adjectifs que l’on n’a de cesse de répéter à la sortie de la salle tant Compliance se révèle être un choc témoin des pires travers de l’humain. Et pourtant…
L’œuvre de Zobel n’a jamais vraiment été très positive avec l’espèce humaine. Avec Compliance, il s’empare d’un canular téléphonique terrifiant et va encore plus loin dans la noirceur du portrait exprimé, prenant en otage les spectateurs qui deviennent à l’instar de la victime du film progressivement démunis devant la montagne qui s’abat sur eux. Tout se passe dans un fast-food au pays de l’oncle Sam. Le personnel n’est ni bon ni mauvais, la manageuse a à cœur de faire tourner la boutique du mieux qu’elle peut malgré quelques incidents logistiques survenus la veille. Des gens sans histoire dans une ville sans histoire aspirant simplement à mener leur petite vie tranquille. Mais lorsque le téléphone retenti pour annoncer que Becky (une caissière – Dreama Walker) est suspectée d’avoir volé une cliente, tout bascule. Retirée du service, elle devient rapidement sequestrée dans l’arrière boutique par sa patronne (Sandra – Ann Dowd) sur demande du policier en ligne. Totalement déboussolée, paniquée par cette situation inédite alors qu’en salle le rush est au maximum, notre gérante exécute chacune des demandes formulées, toutes plus étranges les unes que les autres . Le pitch est posé, et le véritable moteur de Compliance va pouvoir s’exprimer avec tout le sadisme qu’il induit, celui de la facilité qu’ont les humains à exercer les pires demandes si l’autorité et le contexte annihile tout esprit de jugement critique. A l’instar de Phone Game de Joel Schumacher, la relation avec le meneur s’effectue uniquement par téléphone renforçant la déstabilisation récurrente de ne jamais voir (du moins au début) celui qui tire les ficelles et augmenter d’autant son pouvoir de pression et son aspect effrayant.
La grande force du film est de placer le spectateur au cœur du récit, et pas simplement passif en dépit qu’il reste assis sur son fauteuil. Si dans les premiers instants on s’identifie à la manageuse, on s’en éloigne progressivement lorsqu’elle accepte presque sans broncher chaque demande tordue du meneur du jeu, demandes qui auraient dû alerter sur le fait qu’il s’agit “simplement” d’un maniac rusé et non de la police. Mais lorsque l’on s’en rend compte, la machination est déjà allée trop loin et ne trouvera aucune limite sur son passage, tétanisant les spectateurs devant l’horreur morale et psychologique infligée. Craig Zobel, pour maintenir la tension reste principalement dans cette fameuse pièce du fond où se succèdent différents personnages chargées de surveiller Becky, déjà nue sous son tablier de fortune, soit disant pour une fouille au corps afin de retrouver l’argent. Oppressant à souhait, le film rend le spectateur aussi coupable et victime à la fois du jeu pervers du taré que les autres personnages, notamment lors des passages où Becky est nue et où il est bien difficile de ne pas garder les yeux sur son corps alors que la situation est au paroxysme de l’absurde et de l’horreur.
Davantage docudrame que vrai film, Compliance synthétise à lui seul l’ensemble des situations analogues survenues aux USA. Il introduit la notion de vengeance et de plaisir sadique puisque le comportement de Sandra serait d’après le début du film aussi motivé par la jalousie qu’elle éprouve vis-à-vis de la vie « idyllique » de Becky. Une jalousie qui aurait rendu plus facile l’obéissance aveugle au maniac du téléphone. Zobel filme la situation de manière outrée plus qu’outrancière, s’attachant sur les émotions de ses acteurs (tous excellents) et occupant l’espace avec brio pendant près une heure trente. Le naturel des dialogues et de l’interprétation confèrent à la situation un réalisme glaçant ne laissant jamais la place à la moindre lueur d’espoir jusqu’à la fin de ce cauchemar live. On termine médusé, effondré sous le poids d’un tel chaos psychologique qui l’espace d’une réplique laissera entrevoir le début du syndrome de Stockholm de notre jeune Becky. La conclusion ou la morale ? Il n’y en a pas si ce n’est de montrer par l’image le tout pouvoir de la manipulation par le biais d’une autorité que l’on accepte même lorsqu’elle devient démente. Ce n’est pas récent mais ce sera vrai encore longtemps.
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