Oedipe reine
Dès la première scène de Compte tes blessures, sorte de cri blessé d'un jeune chanteur tatoué, on se souvient que Morgan Simon, dès ses premiers courts métrages, n'a jamais cherché à être aimable...
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le 31 janv. 2017
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Pour qui aurait fait connaissance avec Kevin Azaïs dans son rôle d’apprenti militaire attendrissant des Combattants, la transition est un choc. Embarqué dans le premier long métrage de Morgan Simon, il offre une nouvelle tessiture de son répertoire, en jeune homme à la violence rentrée, vivant encore chez son père, sans réel projet si ce n’est la musique métal, concerts cathartiques durant lesquels il se brise la voix.
Son silence et la dureté de certains de ses regards semblent indexés sur ceux de son père, verbe rare et faciès minéral, qui semble attendre son départ et invite à la maison une nouvelle compagne remplaçant la mère décédée.
Tout cela n’est pas grandement original, mais la quête d’un pitch hors norme n’est définitivement pas la préoccupation du metteur en scène, davantage préoccupé par la vérité des êtres. Compte tes blessures est un film sur l’intimité, qui s’écrit notamment à l’aide des tatouages, avec une certaine naïveté : alors que le fils se fait encrer le visage de ses parents sur le cou, il tombe sur la lettre de la nouvelle venue, qui sera d’ailleurs rendue illisible à la suite d’une opération au-dessus d’une casserole d’eau bouillante pour pouvoir la consulter clandestinement. Le hurlement, le tatouage, compensations à un malaise quotidien : le trait est parfois un peu surligné (notamment dans la scène où il supplie son père de lui dire son amour), mais les personnages restent toujours touchants. Les séquences de groupe sonnent juste, et l’irruption de Julia (Monia Chorki, parfaite) décale avec subtilité les curseurs.
Le prix de cette authenticité initiale garantit la croyance que le spectateur va pouvoir accorder aux évolutions du scénario, et la micro-tragédie intime qui va prendre racine.
Il est difficile de déterminer les motivations qui déterminent le magnétisme irrépressible entre Julia et le fils de son homme : vengeance de ce dernier par rapport à son père, jeu pervers de la demoiselle émoustillée à l’idée de faire vibrer deux générations ? Toujours est-il que le trio fonctionne, et que l’on peut aussi croire à la simple beauté d’un amour naissant qui surgirait au mauvais moment.
La terrible scène de conclusion, qui voit Vincent investir le lit paternel pour s’unir à sa compagne sous ses yeux vibre d’une intensité à laquelle on n’aurait pas cru sur le papier : c’est notamment grâce à une gestion admirable du cadre, qui éjecte littéralement l’un au profit de l’autre, aveugle un couple au détriment de ce qui déborde les limites de son regard ivre de désir. La suite de la scène, d’une tension terrible, laisse craindre le pire en matière de hors-champ : quel sera son retour, quelles seront les conséquences ? Ou comment, par le seul choix du point de vue, distiller tout ce que les mots ou l’explicite aurait inévitablement alourdi et appauvri.
Le titre du film, Compte tes blessures, sonne comme un écho étonnant à l’un des tatouages du personnage principal, Count your blessings : traduction clivée d’un de ces « faux amis » (blessing renvoyant à la bénédiction, et non à la blessure) : ou comment donner des pistes sur ce dénouement ambivalent, dans lequel les plaies et leur apaisement semblent advenir dans un même mouvement.
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le 25 juin 2017
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