Ce qui ne nous tue pas nous rend barbare.
Parfois mésestimé et placé aux cotés des ces nombreuses séries B ou Z mettant en scène un héros musculeux, le Conan de Milius fait partie de ces chefs-d’œuvre intemporels dont la puissance reste encore inégalée, 30 ans plus tard.
Retraçant le conflit entre James "Darth Vader" Earl Jones, charismatique à souhait dans le rôle de l'hypnotisant sorcier Thulsa Doom et un jeune Schwarzenneger bluffant en Conan, le film de John Milius nous plonge dans un temps ancien sauvage et impitoyable, excellente retranscription de l'univers originel de "sword and sorcery" créé par Robert E. Howard et si bien mis en image par Frazetta, très éloigné de la "high fantasy" d'un Tolkien.
Compte tenu du matériau originel, sombrer dans la série B d'action facile (sa suite, bien que sympathique, n'a pas été épargnée) n'aurait point été surprenant. Il n'en est pourtant rien, et la grandeur de l’œuvre tient beaucoup à sa finesse et son intelligence.
Alternant avec brio scènes d'actions sauvages à haute teneur en testostérone et passages quasi-contemplatifs, le film est loin de se résumer à une succession de combats musculeux : il hypnotise et captive.
Visionner Conan, c'est parfois avoir l'impression de se retrouver devant un bon péplum, avec ses grands panoramas, ses villes et temples à l'esthétique soignée (l'architecture reptilienne des bastions de Doom est une grande réussite) et sa masse importante de figurants. Un monde toujours aussi fascinant aujourd'hui, d'autant que les effets spéciaux, très mesurés, ont empêché au film de sombrer, avec le temps, dans un kitsch consécutif à l'usage de techniques désormais datées.
L'univers transcrit y est profondément humain : on s'y saoule, on y tue, s'y prostitue, on domine, on aime, on hait, on rit aussi, beaucoup, lors de grands élans fraternels tous droits venus du fonds des temps. Point de manichéisme : nul jugement ici envers les actes passés du Barbare ou quête de rédemption : nous sommes bel et bien dans un monde de guerriers, ou seule prédomine la loi du plus fort.
Et si les dialogues se font rares dans ce monde, ils sont ici écrits avec un indéniable talent. Du monologue d'ouverture, décrivant une société fondée sur la toute puissance de l'acier, à la confrontation finale (purement psychologique) entre Conan et sa Némésis qui va tenter une dernière fois de le soumettre à son pouvoir, arguant qu'il est son véritable père (source de son traumatisme, est-ce lui qui en a fait un surhomme ?), le script de Conan est séduisant à bien des égards.
Inoubliable est cette discussion fraternelle entre le barbare et le voleur sur les Dieux de leur monde, ou ces paroles d'un Doom devenu gourou, vantant de manière terrifiante la supériorité de la chair sur l'acier.
Et quel besoin de moult dialogues quand la simple beauté des images, la qualité de la mise en scène et la majesté des incroyables compositions de Basil Poledouris suffisent à faire frissonner et à rendre cet univers crédible et palpable ?
Je conclurai sur la scène de l'enlèvement de Conan et du massacre de sa famille, une pure merveille qui mérite un aparté : sur le manteau neigeux, un terrifiant éclaireur se présente, précédant la chevauchée d'une cavalerie aux étendards d'os qui plonge sur le village telle une avalanche.
La lutte est déséquilibrée. L'action est sublimée par la majestueuse composition "Riddle of steel, Riders of doom", d'une puissance épique inégalée. La mère de Conan, dernière survivante avec son fils, affronte Doom. Confrontation qu'elle perdra sans entrechocs de lames, défaite par un seul regard, avant d'être assassinée avec une froideur glaciale. Des instants touchés par la grâce, et une introduction parmi les plus grandioses que le cinéma peut offrir.
Réussite magistrale, splendide tour de force associant finesse et brutalité là ou il aurait pu se cantonner en un divertissement abrutissant, Conan le Barbare est à (re)visionner sans plus attendre, sous peine d'être moqué par Crom à votre mort, puis jeté hors du Walhalla.