On me propose de regarder un film de Damiano Damiani."Ah, fis-je avec enthousiasme, El Chuncho, quien sabe?, ça fait longtemps que je voulais le voir !". "Non, me répond-t-on, ce n'est pas un western spaghetti mais un polar avec un nom à rallonge". "Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon ? J'ai entendu dire qu'il était génial ! Et on reste avec Gian Maria Volonte pour l'occasion." Encore raté. Mais le fan de western italien que je suis a vite surmonté sa déception en voyant que le rôle principal était tenu par l'autre beau ténébreux aux yeux clairs du genre : Franco Nero, Django en personne.


En terme de violence, le cadre ne diffère d'ailleurs pas tant que cela de l'Ouest américain, puisque nous sommes à Palerme à la fin des années 60. On y construit beaucoup, le boom économique que connaît alors l'Italie en pleine reconstruction est source de bien des opportunités, surtout pour les gens peu scrupuleux, tels Ferdinando Lomunno, promoteur immobilier et chef mafieux issu d'un petite ville montagnarde. Ses malversations exaspèrent l'irascible commissaire Bonavia, un vieux de la vieille qui faute de pouvoir le coincer à la régulière (et ce n'est pas faute d'avoir essayé), fait sortir de son asile d'aliénés le truand Michele Li Puma, qui entre autres griefs, souhaite faire passer l'envie à Lomunno de fricoter avec sa sœur Serena. Le règlement de compte tourne mal, et attire l'attention d'un jeune substitut du procureur de la république, Traini.


La fameuse Confession d'un commissaire de police au procureur de la République n'interviendra qu'en fin de film, en guise de point d'orgue d'un face-à-face captivant entre deux conceptions opposées de la justice, personnifiées par des individus que tout oppose. D'un côté, Bonavia, homme du peuple, cinquantenaire gouailleur et désabusé, mais bon flic. "Un bon élément : introverti, revêche, mais efficace". De l'autre, Traini, jeune, impeccablement sapé, issu d'une famille juive relativement aisée (il s'en défend, mais son trois-pièces palermitain est plutôt cossu). Cette différence de background n'est pas pour rien dans l'idée différente que chacun se fait de son métier.


Pour Bonavia, la fin justifie les moyens : cela fait des années qu'il a vu la Mafia gangrener l'île, des années qu'il a essayé de l'arrêter par des moyens conventionnels, sans succès. Pour le virginal Traini, seul le respect de la légalité parviendra à triompher du mal. La confrontation direct entre les deux hommes, avec les superbes montagnes siciliennes en arrière-plan, donne lieu à une séquence magistrale, durant laquelle sont étayées les raisons profondes du cynisme de Bonavia."Combien d'injustices serez-vous prêt à commettre, au nom de la loi ?" demande-t-il avec finesse à son collègue juvénile.


Du reste, le film de Damiani a toutes les marques du cinéma engagé (dit "cinéma civique" ou "cinéma citoyen") de l'Italie pré-Années de Plomb. L'influence de Main-Basse sur la Ville de Francesco Rosi se fait énormément ressentir, notamment dans la façon dont sont filmés les HLM de Palerme, le déferlement de costards-cravates corrompus jusqu'à la moelle, et l'impuissance des autorités à contrer la "pieuvre", quant il ne s'agit pas de connivence pure et simple, à tous les niveaux.


En effet, il y a quelque chose de tragique, de pathétique, en l'acharnement avec lequel nos deux protagonistes se mettent des bâtons dans les roues. Mais dans le même temps, Confession... reste un polar d'excellent facture, qui tient le spectateur en haleine, car chaque fois que celui-ci croit en savoir plus que les deux infortunés enquêteurs, le mystère s'épaissit un peu plus sur l'affaire et les motivations de l'un et de l'autre, à tel point que l'on se demande s'ils n'ont pas raison de questionner non seulement les méthodes du rival, mais aussi sa moralité. Le monde dépeint par Damiani est sale, d'une saleté qui fait croire à ses rares chevaliers qu'ils sont seuls, bien seuls.


Filmé avec classe, au-travers de très beaux plans-séquence comme celui dans les couloirs de l'asile durant le générique du début et de superbes vues aériennes, Confession... est aussi l'occasion d'un duel de titans entre deux acteurs en grande forme : Franco Nero, plus séduisant et charismatique que jamais en Traini, et le vétéran américain Martin Balsam, que je ne connaissais pas mais qui m'a conquis par sa force tranquille et ses airs de vieux briscard. Puisque c'est un film italien des années 70, n'oublions pas cependant leurs doubleurs respectifs, Sergio Graziani et Arturo Dominici (car oui, même Franco Nero était doublé, tout natif qu'il était).


Un peu bavard et prêcheur en milieu de film, Confession... prend une autre stature durant son dernier quart d'heure, au pessimisme puissant, typique du néoréalisme. Damiano Damiani, réalisateur courageux et intransigeant, était décidément (et tristement) en avance sur son temps, car en faisant l'amalgame de ses deux personnages titulaires - la vertu du procureur, les méthodes musclées du commissaire -, on pourrait obtenir le prototype d'un homme dont l'ombre plane au-dessus du film, ainsi que de tout film consacré au crime organisé en Italie : Giovanni Falcone, qui n'avait pas encore donné à titre posthume, avec son collègue Paolo Borsellino, son nom à l'aéroport de Palerme mentionné dans le film ! Leur combat continue, reste à savoir si les méthodes employées tiendront davantage de Traini ou Bonavia...

Szalinowski
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le 12 sept. 2020

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