Grâce à leur statut authentique, validé lui-même par le Vatican, et la réputation des affaires qu'ils ont traité, Ed et Lorraine Warren, et plus particulièrement leurs cas sont devenus une source d'inspiration inépuisable pour le cinéma d'épouvante. Respectivement démonologiste et médium, les Warren trouvent avec Conjuring : Les Dossiers Warren, un film pouvant être considéré comme l'acte III de l'adaptation cinématographique d'une de leurs affaires. En effet, en 1991 déjà, une production télévisée intitulée The Haunted s'inspirait de l'affaire Smurls, le cas d'une famille terrorisée par des poltergeists. Selon les faits relatés, malgré trois exorcismes et la présence des Warren, la famille a dû quitté la demeure, qui aurait retrouvé son calme après un ultime exorcisme. En 2009, c'est le film Le Dernier Rite (The Haunting in Connecticut) qui s'est vaguement inspiré d'un second dossier parmis les 4000 cas traités par les Warren. Celui-ci est plus récent et renvoie à l'affaire Snedeker, l'histoire d'une maison possédée, dont certains habitants furent violés par un démon. Après un exorcisme des Warren, le local n'avait plus jamais fait preuve d'événements paranormaux. Les Warren sont plus connus cependant pour leur présence a posteriori sur l'affaire Amytiville, qui n'a plus besoin d'être présentée tant elle est ancrée dans la culture populaire grâce à une première adaptation somme toute réussie et un remake dispensable. Les adaptations d'Amytiville ne peuvent cependant être associés aux Warren puisqu'ils ont pénétré la maison après les faits macabres qui s'y sont produits et n'y ont pratiqué aucun exorcisme. Les films qui s'inspirent de l'affaire n'ont d'ailleurs jamais fait état de leurs présences au sein des intrigues. Malgré le fait qu'il a été prouvé plus tard que l'affaire Amytiville était une supercherie orchestrée par les médias, les Warren n'ont jamais cessé de dire que la maison était possédée par d'innombrables et malfaisants démons.
Tout ceci pour présenter brièvement les Warren et leur impact au cinéma et dans le monde du paranormal. Une courte présentation pour signifier que le professionnalisme des Warren n'a jamais été mis en doute et qu'il est devenu par ailleurs une source d'information juteuse pour des scénaristes qui souhaitent raconter des expériences démoniaques authentiques. Conjuring est le troisième acte de leur histoire adaptée au cinéma et il semblerait, malgré quelques défauts, qu'elle soit la plus réussie. Réussie grâce au talent de James Wan, celui qui a su redonner ces lettres de noblesse au genre fantôme/démon qui tournait en rond depuis quelques années. Avec Insidious, James Wan avait réussi à captiver de par une intrigue simpliste et déjà-vu mais finalement plus subtile en apparence qu'il n'y paraît, laissant davantage le hors-champ évoquait la terreur. Il en résultait un final dynamique, prévisible certes, mais suffisamment oppressant pour laisser le spectateur sur une impression satisfaite. James Wan est également à l'origine du premier opus de la lucrative saga Saw, et de Dead Sentence et Dead Silence qui avaient marqué les esprits lors de leurs sorties respectives. Alors en attendant la suite d'Insidious et son passage sur le septième opus de la franchise Fast and Furious, James Wan se fait une nouvelle fois plaisir sur un cinéma de genre qui ne demande qu'un peu d'audace et davantage de respect pour une thématique qui en a cruellement besoin.
A l'instar d'Evil Dead, il n'a pas fallu longtemps pour qu'Insidious joue sa campagne de communication sur la frayeur ressentie par les spectateurs outre-Atlantique. Des malaises, des cris d'effrois dans les salles de cinéma et une phrase d'accroche simpliste mais efficace "Le film le plus terrifiant de l'année", il n'en fallait pas plus pour titiller la rétine de l'amateur du genre et certainement du spectateur lambda, avide de frissons. Alors autant être honnête, Conjuring n'est pas aussi effrayant qu'espéré, mais il est suffisamment efficace, grâce à son ambiance accablante et subtilement dosée en effroi pour laisser à nouveau l'impression d'avoir assisté à un film de genre efficace, satisfaisant et honorable. En fait, dès les premiers mouvements de caméra, James Wan se démarque de ses confrères du genre et fait preuve d’originalité en alternant quelques plans séquences (notamment le premier somptueux qui suit l’emménagement dans la maison) avec des plans fixes où la caméra tremble de manière à peine perceptible donnant ce côté caméra à l’épaule, et donc légèrement documentaire. Comme si avant d’être une œuvre de fiction, Conjuring était un documentaire sur l’une des affaires les plus terrifiantes des Warren. Ça peut sembler peu mais ça donne une véritable authenticité à ce récit. Le réalisateur respecte les codes du genre, tente d’en ajouter et étonne par ce parti-pris de rarement montrer ou seulement en partie et d’enchaîner les plans fixes, et les zooms extrêmement lents donnant une impression de profondeur surnaturelle notamment ces moments où la caméra est en plongé, zoomant sur la maison. Pour ajouter ce côté seventies à l’histoire, le directeur de la photo utilise un procédé superficiel pour mettre un grain sur l’image qui renforce les contrastes et atténuent les textures à l’écran. Cependant, difficile de le lui reprocher tant il se révèle ingénieux et efficace, aidé par des décors et des costumes très ancrés dans cette époque. Grâce à ce choix de grain sur l'image, sans compter le travail des équipe techniques, la mise en scène se révèle extrêmement efficace et l’ambiance 70’s semble fidèlement retranscrite.
Du côté du récit cependant, le film ne surprend pas autant qu’il le laisse entendre. Avec 1h50, soit une durée plutôt longue pour le genre, Conjuring se tiraille entre deux points de vues : celui des Warren et celui de la famille victime du démon. Celui des Warren qui présente de manière trop en retrait leur cadre de vie, leur conférence à l’université, leur popularité auprès des élèves et des journalistes, leur difficulté de vivre avec ces professions qui demandent beaucoup de temps et une conciliation avec une vie de famille idéale pas facile à mettre en place. De l’autre côté, il y a la famille Perron, issue de la moyenne classe, qui déménage avec des étoiles plein les yeux et l’envie de commencer une vie meilleure que celle d’avant. Il y a des bons instants de famille et ce point de vue transpire le réalisme et l’amour d’une mère aimante pour ses enfants et son mari. Un point de vue qui s’oppose à celui des Warren et où chacun va apprendre des choses de l’autre. Là où ça coince un peu, c’est du côté du rythme. Si Conjuring a un final plutôt dynamique, il faut dire qu’avant ça, il y a une longue introduction où James Wan pose mollement les bases et les fondements de son histoire. L’intrigue passe donc par ces étapes de l’emménagement, des premiers phénomènes inoffensifs qui vont monter crescendo en tension avant ce final mouvementé. Le réalisateur tombe également dans le piège de relier plusieurs histoires et de ne pas les conclure. Le premier cas concernant la poupée Annabelle était extrêmement intéressant et enrichissant sur l’actualité paranormal. Seulement, il ne termine pas ce qu’il a commencé et tend juste à faire un lien avec la Famille Perron. Le récit se termine de manière brute, sans qu'il n'y ait de réelles indications sur la conclusion du premier cas évoqué. De même, le traumatisme subi par Lorraine Warren lors d’un exorcisme qui a mal tourné est à peine effleuré et au final laisse une part de mystère désagréable. Conjuring se concentre presque exclusivement alors sur le cas de la famille Perron. Il y a de bonnes idées scénaristiques dans ce dossier, notamment celle de faire passer gentiment Conjuring du film de fantôme et d’esprit à celui d’exorcisme et de démon. Du coup, il y a une tournure assez inattendue qui tend à explorer la même intensité que celle ressentie sur le tout premier et culte L’Exorciste de William Friedkin. Les bonnes idées proviennent également de certaines explications dans le cadre de la validation par le Vatican des cas où il doit y avoir un recours à l’Exorcisme.
En fait, le principal souci du film vient du fait qu’une impression de redite sort de Conjuring, comme une ressasse d’Insidious. Le schéma d’action semble le même, si ce n’est que Conjuring s’intéresse davantage à ceux qui vont être les initiateurs de l’exorcisme. Mais en soit, il y a nouveau cette idée de la longue introduction présentant les événements surnaturelles, allant crescendo, de même que ces légères touches d’humour entre les personnages secondaires, et ce final survolté. Un même schéma pour deux films. Le schéma n’est pas détestable en soi mais il sent la supercherie à plein nez puisque les deux films se suivent dans la filmographie de Wan.
Au-delà de ça, Conjuring est un film qui fait à nouveau la part belle à Patrick Wilson, déjà croisé dans Insidious, et Vera Farmiga, poignante sur l’intéressant Esther. Un couple à l’écran qui fonctionne malgré des performances qui ne marqueront pas les esprits. Celle qui captive littéralement l’écran par contre, c’est bel et bien Lili Taylor, la mère de famille, tour à tour touchante en mère aimante puis véritablement effrayante en possédée jusqu’au dénouement où le supplice qu’elle subit fait froid dans le dos. Le mari joué par Ron Livingston est transparent dans l’intrigue mais ses filles se révèlent aussi touchantes que la mère, et la relation entre ses sœurs transpirent la complicité à l’écran. Certains se surprendront à revoir à l’écran Mackenzie Foy/Renesmee de Twilight tandis qu’il sera impossible de ne pas trembler devant l’effroi ressenti par Joey King, face à une porte qui se claque ou un coin sombre d’une pièce. Ces relations donnent l’impression de suivre des tranches de vie authentiques de la famille et confère au film un charme d’une autre dimension. Par ailleurs, Conjuring peut se vanter d’employer quelques effets visuels bien sentis sans jamais réellement en dévoiler. Les démons sont suggérés ou montrés en partie et ça fait toute la réussite du film puisque la tension ne repose finalement sur rien. Ce n’est pas la même tension ressentie sur le vide montré par Paranormal Activity. Derrière ces subtilités, il y a une autre dimension remplie d’esprits plus ou moins malfaisants et à l’écran, ça se ressent. Et surtout dans sa dernière partie, où l’exorcisme fait appel à quelques élans bien sentis d’audaces. Il est juste dommage que l’exorcisme défini comme extrêmement compliqué à mettre en pratique pendant tout le film soit si vite éclipsé. Malgré tout, la séquence est prenante, peut-être prévisible mais dynamique voire effrayante pour certains.
Au final, The Conjuring est une version du schéma d’Insidious à peine amélioré qui vaut pour la réussite de son ambiance oppressante, de sa retranscription fidèle des années 70, des effets visuels bien sentis et de ce parti-pris d’en montrer peu pour terroriser davantage. Il y a un sentiment d’inachevé avec les Warren notamment sur le cas de la poupée Annabelle ou de ce final trop vite dénoué. Il manque également quelques sensations de terreur plus profondes, les éléments les plus prenants se déroulant dans le dernier tiers. Conjuring est au final un bon film mais qui aurait pu faire encore plus fort en termes de frissons. En attendant Insidious 2, certainement son dernier long métrage d’épouvante avant qu’il n’aille faire ses preuves sur la franchise Fast and Furious, James Wan confirme la réussite de sa mise en scène, moins de ses scénaristes un peu faiblard sur l’intrigue, et donne à penser qu’il peut confirmer dans les années à venir. Et ce n’est pas le succès critique, commercial et d’estime du premier volet de la saga Saw qui dira le contraire. Ce qui est tenu pour sûr, c'est qu'avec le succès aux Etats-Unis de Conjuring, on n'a pas fini d'entendre parler des Warren, et peut-être même d'Annabelle.