En 2011, neuf ans après l'épidémie de SRAS et deux ans après celle du H1N1, Steven Soderbergh réalisait Contagion. Le film raconte l'émergence d'un virus mystérieux, le MEV-1 et la pandémie qui s'ensuit. Une décennie plus tard, actualité du Covid-19 oblige, Contagion suscite un regain d'intérêt. Si Soderbergh en avait refroidi plus d'un avec sa vision très clinique du sujet, sa description très précise des mécanismes à l’œuvre dans une pandémie de ce type s'avère aujourd'hui tout à fait pertinente. Analyse comparée.
Ce que le film a bien anticipé
Soderbergh s'est appuyé sur un épidémiologiste de renom, Larry Brillant, pour écrire son scénario. Sa mise en scène chirurgicale évite par ailleurs toute forme de lyrisme, conférant à son film une dimension quasi documentaire. Point de héros dans cette histoire mais un film choral où chaque personnage incarne un des maillons de la chaîne de résistance à la pandémie. Ce que Contagion montre très bien c'est le mécanisme de dissémination extrêmement rapide du virus. Une propagation favorisée par l’interconnexion des réseaux commerciaux et touristiques. La contagiosité très élevée du virus, le fameux R-zéro, est ainsi au centre des préoccupations des scientifiques. La sidération qui en résulte, notamment dans cette scène où les responsables prennent la mesure de l'exponentielle virale - et l'incapacité des politiques à prendre les bonnes décisions sont autant d'éléments que le film montre très bien.
Différence de timing
Dans le film, la vitesse de propagation du virus prend de court les pouvoirs publics. Au 7ème jour, 280 000 cas de MEV-1 sont décomptés et trois semaines plus tard le cap des deux millions de morts est déjà atteint. Par chance le Coronavirus se révèle être un tueur beaucoup moins pressé. Il n'en n'est pas moins dangereux, le temps nous le dira. Dans le film, l'Amérique prend le commandement dans la lutte contre le MEV-1, la réalité montre au contraire à quel point elle a échoué dans son rôle de grande puissance face à la crise du Covid-19. Les Américains, héros du film se retrouvent aujourd'hui, Trump le premier, débordés par un virus qu'ils ont pourtant eu tout le temps de voir venir. Contagion nous rejouait Deep Impact, ce météore déboulant de nulle part, la réalité actuelle nous propose un remake de Titanic : inertie fatale et déni du danger.
Fiction froide
De fait, on peut toujours faire confiance à la réalité pour s'avérer plus improbable que la plus invraisemblable des fictions. Le film montre comment l'opportunisme et l'égoïsme, deux faces d'une même médaille, profitent des situations les plus dramatiques. Le forsythia, remède soi-disant miracle vendu par l'escroc Alan Krumwiede (Jude Law), rappelle la chloroquine ; et la guerre au vaccin dans le film évoque la bagarre pour les masques dans notre épidémie. En revanche, les scénaristes font montre de maladresses tout à fait surprenantes. Ainsi, les porteurs du virus semblent ignorer le principe même des gestes barrière, les uns toussant sans retenue au nez de leurs proches, ce dont l'épidémiologiste elle-même se rend coupable, les autres se côtoyant sans protection particulière. De plus, Contagion n'évite pas les poncifs du genre passés au crible d'une mise en scène cliniquement froide. La réalité nous montre une adaptation des populations beaucoup plus inattendue. Pour le meilleur comme pour le pire. Nul chariot rempli à ras bord de papier toilette dans le film de Soderbergh, mais pas davantage de chorales solidaires aux fenêtres, ou de papy allant faire ses courses avec un casque de plongée Décathlon vissé sur la tête. Le diable - et l'humour- se niche dans les détails. Et c'est bien ce dernier qui nous sauve.
7/10
Critique publiée sur le Magduciné