Quand Conte d’Eté sort sur les écrans en 1996, Rohmer a 76 ans et il est pourtant impossible de le deviner, pour ceux qui ne le connaitraient pas, à la vision du film. A quoi cela tient pour qu’un film soit touché par cette grâce furtive et mélancolique (différente d’une grâce en tant que charme ou élégance) plutôt qu’un autre? Ce Conte d’Eté suffit à faire chavirer le coeur de toute personne qui aura eu un jour vingt ans. La logorrhée est pourtant la même, le cadre également, servant de récipient à la parole, au dialogue soutenu (espace toujours filmé avec une élégance merveilleuse). Mais c’est l’été! L’été de nos vingt ans qui cristallise les doutes et l’aveuglement de l’âge. Ces longues discussions vont tenir lieu sous un soleil radieux qui tient en chappe Margot, Lena et Gaspard. Le film est très drôle et tient toujours sur cette corde raide de la légère exagération des caractères, ne sombrant jamais dans l’excessif, donnant aux scènes de plages, restaurant ou bien boite de nuit, une force poétique telle que c’est tout un temps qui se retrouve pour le spectateur; et qui, de par leur simplicité, livrent leur universalité. Les films de Rohmer, et plus encore ici, tirent leur force de la croyance que ce dernier peut avoir en son cinéma et en la vérité. Ici, il n’y a pas de compromis avec la vérité et tout va se jouer avec cette parole exercée durant le film.

Cependant, les caractères de Rohmer atteignaient autrefois une limite à leur exagération et les dialogues finaux traduisaient un réel dénouement à ce que ces personnages n’avaient pas compris et qui comprenaient enfin. Ce n’était pas l’image ou une situation de mise en scène qui mettaient fin à l’intrigue mais les dialogues qui se faisaient exposés de la situation finale. Et c’est justement le contraire auquel tend Conte d’Eté dont la scène finale réside dans un jeu de regard et un dernier baiser silencieux. Temps et espace se mélangent à ce moment là et voilà que ressurgit l’image poétique ; Gaspard et Margot concentrent toute l’ingénuité des amours d’été, des rencontres passagères, du plaisir et de la tristesse que ceux-ci peuvent contenir. Et c’est à ce moment là que les coeurs chavirent car le mystère reste entier ! Gaspard aura saisi cette opportunité du magnétophone pour désamorcer la situation et se croire en sécurité, se complaisant dans sa douce incertitude. Et voilà que c’est le départ qui va la détruire. Que se passera-t-il après? Le générique apparaît mais le film ne prend pas fin car il reste des enjeux, il reste du mystère, on ne nous a pas tout dit! Le cinéma est fascinant quand il entretient une part d’incertitude et de mystère car elle fait travailler l’imagination du spectateur, d’autant plus si celui-ci se sera livré entièrement au film.

C’est un film incroyable, extrêmement sensible et qui constitue un de ses morceaux de vérité pure que le cinéma français a tendance parfois à trafiquer en se construisant une fausse liberté. Ce Conte d’Eté ne trouve son équivalent que dans très peu d’oeuvres cinématographiques, se rapproche plutôt de celles, poétiques de Rimbaud et sera à coup sûr un inoubliable memento vivere du cinéma français.
Tanguydbd
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le 24 août 2014

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