Les cinéphiles ont coutume de dire qu’Eric Rohmer fait du marivaudage, ce qui signifie un doux bla-bla mièvre et futile. Il faut cependant se garder de tout préjugé avant d’avoir constaté par soi-même.
Conte d’Hiver commence bien avec la jolie Félicie nue sur la plage en été avec Charles. La VOD montre gratuitement les trois premières minutes du film. Allez hop j’achète !
Ça se gâte hélas à partir de la troisième minute et le panneau « 5 ans après ».
Le prétexte du scénario (une confusion entre Levallois et Courbevoie) est du genre réalisme fantastique. Qu’une jeune fille puisse se tromper de ville en laissant son adresse est impensable. Et la même jeune fille ne sait même pas le nom de famille de son amoureux qui lui a fait un enfant ! Après un un tel brillant début on n’est pas mis dans les meilleures conditions pour apprécier la suite, il faut bien en convenir... Cette suite se déroulera en 4 actes.
Acte 1 _ Trois Hommes et un coup fin
...On se retrouve à Paris en hiver...Félicie aime deux hommes mais n’oublie pas le Charles du début... Ce roman-photo s’annonce passionnant...
Acte 2_ Félicie a une forte envie de Nevers
On voyage donc de Paris à Nevers, le pays de Sainte Bernadette. En fait ce n’est pas un roman-photo c’est un téléfilm. Le thème du débat à la suite de ce téléfilm est le suivant: ces Parisiens qui choisissent d’habiter en province...La seule différence c’est qu’un téléfilm dure 1H35 alors que ce film-là est parti pour durer longtemps... A part ça Félicie ne veut pas trahir son serment de vivre sa vie avec Charles…
Rohmer faisait partie de la horde de loups des Cahiers du Cinéma avec Godard, Truffaut et Rivette. On comprend mieux dès lors pourquoi le Comité Central de la Pensée Unique et ses successeurs nous forçaient à aimer ça à l’époque et nous traitait d’incultes si on aimait John Ford, Carpenter ou Peckinpah...
En fait Claude Chabrol, le seul à sauver dans la Nouvelle Vague , connaissait bien Grand Momo (surnom de Rohmer), avait de l’amitié pour le personnage et lui trouvait même de l’humour, ce qui est pour le moins surprenant quand on voit la tête du bonhomme. Il avait su déceler ses deux principales astuces:
faire des séries comme ici pour les Contes .Parce que les gens ont tendance à se dire : "J'en ai vu un, alors je vais en voir deux, trois... "
donner des titres cochons aux films : Ma nuit chez Maud, Le Genou de Claire... Et Pauline à la plage…La marquise d’O... C’est toujours tentant…[Tiens il me faudra essayer ça pour mes titres de critiques].
J’ai pu déceler pour ma part une troisième astuce : donner les premiers rôles à de jolies jeunes filles inconnues (Amanda Langlet, Haydée Politoff et ici Charlotte Véry), ce qui permet de procurer un peu de fraîcheur au milieu d’un désert torride d’ennui.
Acte 3 _ Le retour au grand pari
« Estimons ces deux cas : si vous gagnez, vous gagnez tout; si vous
perdez, vous ne perdez rien. Gagez donc qu'il est, sans hésiter. »
Blaise Pascal à propos de la foi, Pensées, fragment 397
Suite à une révélation mystique dans une église (je n’invente rien) Félicie retourne à Paris car elle a une prémonition. Elle va retrouver Charles. Le thème du débat sera cette fois-ci: votre vie a-t-elle un jour basculé suite à une révélation mystique?
“Notre instruction n’est rien d’autre qu’un ressouvenir de ce que l’on
avait oublié...Or ce ressouvenir serait impossible si notre âme
n’était quelque part avant de naître sous cette forme humaine”
Platon, vient à la rescousse pour parler de la prémonition et prouver l’immortalité de l’âme.
Rogntudju!
Pascal et Platon cités dans un téléfilm ?
D’après Chabrol toujours, Rohmer serait assez didactique mais son élégance serait de le cacher. Il faut avouer que vu sous cet angle-là, Rohmer est quelqu’un de particulièrement élégant.
Acte 4 _ Bus, bus, magique bus
Au cours d’une représentation de Conte d’Hiver de Shakespeare Félicie pleure. Elle voit dans la pièce un reflet de ses espoirs. Son amour renaîtra, elle en est sûre. Son voyage symbolique l’a rendue plus forte et elle est désormais prête pour... le retour de Charles, bien sûr.
Et voilà-t-il pas que 5 ans après Charles réapparaît dans un bus … et ce sera l’amour à jamais et pour la vie. Après un bref amour de vacances sur une plage Charles aurait donc attendu pendant 5 ans ce moment-là ? La conclusion est aussi improbable que le lapsus du début. A moins qu’il faille y voir une blague irrésistible. Que fait Charles pendant 5 ans ? Charles attend...??? Mais oui quoi, charlatan, quoi. Ah !Sacré Grand Momo !
Selon que l’on est sentimental ou pas le film sera accablant de banalité ou réconfortant d’espoir. On peut rester extérieur à l’histoire ou y croire à fond. C’est le principe de tous les contes pour enfants. Le malheur c’est que depuis peu on n’a plus huit ans...
[Ce navet fait partie du best-seller « 1001 films à voir avant de mourir », tout comme Week-end de Godard, si, véridique !]