Une parenthèse
Ce n'est peut-être pas le meilleur film d'Eric Rohmer, mais il y a tout ce que l'on aime dans son cinéma. Des références philosophiques, des discussions sur l'amour, des bourgeois et une forme...
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le 5 juin 2017
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La grâce encore. La grâce Rohmérienne qui se serpente dans chaque recoin d'images, dans ces cadrages épurés, vides, d’intérieur d'immeubles Parisiens, dans lesquels se tient toujours debout, un personnage d'homme ou de femme, dans la solitude d'un monologue. Lumière vide et chatoyante, où la beauté naturelle d'un mur blanc vient s'adjoindre à l'allure du personnage. A son discours, aux mots qu'il prononce au travers d'une bouche qui se fait limpide, articulant chaque mots comme s'ils étaient fait de porcelaine. Le cinéma de Rohmer est une grâce. Peut-être pas celle de croire en Dieu, comme Rohmer pourrait l'être, mais la grâce d'un vide, d'une épure. Chaque plan est un tableau de la Renaissance. C'est la grâce d'un soin exquis pour la posture, pour l'allure, pour la parole, pour les mots.
En parfait philosophe, Rohmer manipule les mots, les caresse jusqu'à en faire quelque chose de divin, des instants où tout cesse, suspendu dans le temps.
Ce sont toujours ces dialogues qui perdurent jusqu'au soir, lorsque les personnages finissent par se retrouver seuls, à deux, là où commence alors les confidences, les émois, révélations suprême d'une finalité où les choses avancent comme une enquête. C'est ce que nous montre Conte de printemps. Cet homme habillé de bleu, en face d'une femme, vêtue du même bleu azur, seuls, tout deux, face au discours, face aux mots.
C'est le déroulement d'une vie où tous les personnages sont coincés entre quatre murs, et déroulent leurs pensées dans la réalité concrète d'un monde. Alors quand ils ne sont plus enfermés dans l'intérieur d'un immeuble Parisien, ils marchent aux travers de chemins, ou dans des jardins où les arbres fleurissent, où l'herbe humide de rosée vient mouiller les bottes que l'on a pris soin d'enfiler, parce qu'on est à la campagne. Rohmer, c'est ça. C'est cette maison de campagne qui occupe nos souvenirs d'enfance, vieille de poussière, de souvenir, de temps. Lorsqu'on y va pour les vacances, on ouvre les volets, et la lumière apparaît, rayonnante. Celle du printemps d'un film où les saisons sont comme une coupure au temps, une parenthèse.
Conte de printemps, le tout premier conte des Contes des quatre saisons du réalisateur, à l'allure légère de fleurs qui posent leurs pétales sur la branche fine de l'abricotier, un jour de printemps.
Car lorsque Paris s'en va et que le temps est indéfini, le printemps revient comme un rappel, celui d'une maison dans un jardin en fleur, où les murs tapissés de papier peint rappellent un temps qui n'est plus. Elle, elle trouve ça moche. C'est cette jeune fille exaspérante dans sa façon d'être, dans sa façon de dire, dans sa façon d'être jalouse du moindre élément qui l'entoure. Ce sont ces rencontres qui se font trop simplement, trop furtivement, qui vont trop loin dans la confidence avant même qu'une seule journée se passe. Parce que les personnages de Rohmer sont parfois d'une exaspération folle. Englués dans leur rêve, leur recherche d'espérance, de finalité, ils chutent, ils tournent en rond, ils trébuchent. C'est cette quête de sens, d'espérance, de finalité, qui rejoint le sentiment d'une croyance religieuse, habitant le cinéaste, corps et âme.
Rohmer, c'est un goût feutré sous la langue d'un ciel chatoyant, c'est le goût d'un univers où le langage fond sous la langue, où les mots se font doux, soyeux, élégant. De fines perles que l'on prend soin de chérir, jusqu'à ce que les mots parviennent à la sublimation, l'idéal, la conquête, le hasard. Ce sont ces thématiques qui occupent l'intégralité du cinéma de Rohmer, fait de langage et d'espérance, de rêves, de candeur, de jeunes filles en fleur.
C'est ce personnage étrange et fascinant, d'un homme à l'allure fait de tics, de mimiques, tout en peur, en langueur, en timidité, comme si, en permanence, il ne savait quoi faire de son corps. Alors il se tord, se mouve, ne sait plus où placer ses mains. Sa parole, son visage, est une manière de plus, un tic, une écorchure. Séducteur d'âge mûr, il est ambiguë avec tout ce qui l'entoure, ce qui, d'emblée, provoque chez lui une extrême fascination. Il ne serait pas inexact d'affirmer que le langage, chez Rohmer, a cette manie de la propreté des grandes fresques de la Renaissance, ce soin de l'art italien à inscrire mots pour mots la vie la plus pure, la plus précise, la plus authentique. Cette précision d'un perfectionnement qui apporte jusqu'à la grâce, la beauté, le divin.
C'est une histoire comme une autre. Comme toutes celles qui tapissent le cinéma du grand homme. Une femme possède deux appartements mais ne peut en jouir d'aucun. C'est l'illustration du sentiment d'un piétinement permanent, comme les personnages qui chevauchent son film en dialoguant, en se cherchant, en déballant ça et là de grandes théories sur la vie, fait de certitudes et d'idéaux. Et voilà qu'on philosophe autour d'une table, pendant que l'un découpe le rôti et observe imperceptiblement la femme qui parle en face de lui, débectant de la philosophie à l'autre femme en face d'elle, qui elle réfléchit, réplique, s'agite.
Chez Rohmer, on se philosophe en pleine face, on s'égare, on joue à s'embourgeoiser et à dire de grands mots. On joue à paraître, mais on n'est pas. A la place, on pense, on parle, on s'agite, on récite la philosophie que l'on a appris à l'école, et on tente de s'en sortir. De sortir des griffes de l'illusion, de la rêverie, de l'espérance. Parce que tout ça ne sont que de grands mot, qui ne mènent qu'à la boucle, au tournoiement incessant des pensées qui s’entrelacent.
Le cinéma de Rohmer est l'art de vivre à reculons, de ne pas faire de pas, de rester coi, inerte. C'est ce qu'exprime la lenteur des corps qui prennent le temps de vivre. Jamais les personnages ne connaissent la vitesse, ou bien ils marchent, errent tranquillement en papotant, en posant leur pensées dans le vide de l'air ambiant. Jamais ils ne courent, ne dansent, ne se chamaillent. Toujours ils cherchent à remettre les pensées dans le bon ordre, à vivre comme ils imaginent qu'ils doivent vivre.
Ou lorsqu'ils dansent, ou lorsqu'ils courent, c'est encore avec une inertie sans chair, une mécanique calculée, une précision millimétrée. Parce que chez Rohmer, la chair n'est pas, mais seul les mots demeurent, ces mots qui ramènent droit à la littérature, d'une importance vitale.
Chez Rohmer, les personnages tentent de se donner un cadre, une direction à suivre, une morale. Ils tentent de suivre des idéaux parfois irrationnels. Ce sont des rêveurs, des dormeurs qui cherchent à rationaliser leurs pensées afin de se donner une contenance. Mais de rationalité, il n'y en a aucune. Ce ne sont que des pions dans un jeu d'échec, qui apprennent à vivre ensemble, afin de s'entraider dans la recherche d'une rationalité concrète d'une courbe droite. La courbe, celle de la vie.
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le 31 mai 2016
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