Poétique
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7 j'aime
Le scénario de ce film a tout du mélodrame classique, mais il marche parfaitement avec moi.
Kikunosuke est le fils d'un grand acteur de kabuki. Tout le monde l'encense, simplement sur le nom de son père, alors qu'il est très mauvais et gâté. Un jour, la nourrice du bébé de son frère, Otoku, ose lui dire qu'il joue mal. Il en ressent une forme de soulagement et de tendresse pour elle, qui veut voir grandir son talent. Mais les parents voient ce rapprochement d'un mauvais oeil et la chasse. Furieux, Kiku quitte sa famille et part faire carrière dans un autre théâtre. Après un an, il retrouve Otoku, qui a fui sa famille, qui lui interdisait de le revoir. Mais le patron du théâtre, accommodant, meurt, et Kikunosuke perd sa place : il se lance dans la carrière de théâtreux itinérant, suivi par Otoku.
S'ensuivent 4 années de vaches enragées, qui l'aguerrissent mais le rendent aussi plus dur. A son insu, Otoku va supplier son frère, à Osaka, de lui confier un rôle. C'est le tout pour le tout, et Kikunosuke fait un triomphe. Il peut reparaître devant son père, mais le frère fait jurer à Otoku de ne pas suivre son mari à Tokyo. Kikunosuke se révolte quand il voit qu'elle n'est pas avec lui dans le train, mais en lisant sa lettre d'adieu, il se résigne, pour elle, à finir de restaurer sa réputation. Avec la troupe de son père, il revient un jour à Osaka. Après une représentation triomphale, où Kiku obtient de mener la parade finale en barque, son ancien logeur d'Osaka se présente : Otoku, dont la santé s'était beaucoup dégradée pendant les années de voyage, est mourante. Le père de Kiku finit par comprendre, et lui dit d'aller voir sa femme et de la remercier. Sur son lit de mort, Otoku reçoit le succès et le retour de Kikunosuke comme une bénédiction, mais l'oblige à aller à la parade. Alors qu'il salue son public, elle meurt.
Je crois l'avoir vu il y a très longtemps. C'est un film très émouvant, avec le pathos propre aux années de l'entre-deux-guerres, mais qui fonctionne parfaitement, car les personnages ne sont pas des caricatures, ils ont tous, à leur manière, une forme d'empathie. L'esprit du théâtre japonais, avec ses classiques histoires d'amour rendu impossible par la société, imbibe tout le film, qui relate une histoire d'amour très belle, pudique et vraie. Au fond, ce n'est pas qu'un plaidoyer féministe : c'est Otoku elle-même qui pousse Kikunosuke à la quitter pour aller à la parade finale, ce qui montre au fond à quelle point elle a intégré la culture du renoncement à soi de la femme japonaise.
On retrouve par ailleurs l'élégance du réalisateur, dès la scène d'introduction dans les coulisses, avec ce travelling descendant depuis la zone des machinistes, qui échangent des commentaires désabusés sur le jeu déplorable de Kikunosuke, pour ensuite suivre en plongée l'intéressé, qui sort de la scène en costume.
Il y a aussi ce long travelling latéral dans la scène-clé où Otoku, la nourrice du bébé de son frère, ose dire au héros qu'il n'est pas bon acteur.
Mizoguchi arrive à caractériser la naïveté empotée de Kikunosuke juste à travers la manière dont il coupe des pastèques (scène qui fait écho à une autre à la fin du film). Un maître. La direction d'acteur est si bonne, le timing des scènes tellement parfait.
Le moment de la représentation de la dernière chance, où le héros joue Shimozuke, porte une tension insoutenable, digne d'un Hitchcock, avec de longs plans sur le jeu de l'acteur alternant avec les regards des spectateurs et l'anxiété d'Otoku : on meurt d'envie de savoir si oui ou non, il signe son arrêt de mort. + Les autres acteurs regardant à travers un écran de paille tressée.
Les contes des chrysanthèmes tardifs est un très élégant mélodrame sur le monde du théâtre et la condition féminine au Japon. Il m'a presque tiré des larmes, ce à quoi peu de films peuvent prétendre.
Créée
le 22 mai 2016
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