Extrême pudeur
Inspiré par le journal de Madeleine Pauliac, résistante et médecin-chef de l’hôpital français de Varsovie pendant l’après-guerre, Les Innocentes (ex Agnus Dei) pâtit d’un traitement d’une froideur...
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le 15 févr. 2016
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Réalisateur aguerri, Malek Bensmaïl revient, 10 ans après Le Grand Jeu (documentaire censuré en son temps, qui analysait la campagne présidentielle algérienne de 2004 du point de vue d’un opposant au FNL), sur la corruption de la vie politique de son pays. Au cœur de la rédaction d’El Watan, journal francophone vivement opposé au pouvoir en place, le cinéaste suit le déroulement de la campagne de 2014, qui verra Abdelaziz Bouteflika remporter plus de 80% des suffrages…
Se fondant dans la masse, Malik Bensmaïl s’est attaché à une poignée de journalistes promptement identifiables qui, s’ils partagent la même aversion à l’encontre du système qu’ils dénoncent, gardent des positions diamétralement opposées quand il s’agit d’identifier les racines du mal qui ronge la société algérienne. Les débats des rédacteurs sont placés sous l’égide d’une mauvaise foi presque assumée lorsqu’il en va de la défense de leurs opinions ; mauvaise foi caractéristique de l’humour qui ponctue l’œuvre. Cet humour s’impose face à l’absurdité de la réélection d’un président affecté par un AVC au point d’en devenir impotent - et trop faible pour faire la moindre apparition publique. El Watan fustige le favoritisme médiatique propagandiste dont jouit Bouteflika, président briguant un quatrième mandat, symbole d’un état fantoche reposant sur le népotisme et le clientélisme... Devant l’importance de ce pouvoir tentaculaire, le quotidien est l’emblème d’une résistance étouffée, égarée entre la lutte pour son indépendance, sa survie à la décennie noire, et sa force dérisoire face à l’enracinement du corps politique algérien. Restent des journalistes aussi audacieux que passionnés, témoins d’une époque qui ne semble changer qu’en apparence, et bataillant pour entretenir la flamme d’un contre-pouvoir presque illusoire, mais insolent et hautement estimable. Voilà toute la beauté du film de Malek Bensmaïl, qui met en exergue quelques Sisyphes modernes, trouvant leur salut dans l’accomplissement d’une tâche plutôt que dans sa finalité… Et la liberté d’expression de prendre un tout autre sens.
Articulé par différents plans transitoires, soulignant tour à tour la détermination du directeur de la publication du quotidien, Omar Belouchet (effectuant son jogging sur un tapis roulant – avançant, à la manière d’El Waltan, sans arriver nulle part), et la lenteur de la construction des nouveaux locaux de la rédaction, Contre-pouvoirs pâtit des limites imposées par son sujet. Le film couvre les interrogations de certains journalistes d’El Watan concernant la corruption du pouvoir algérien et l’éveil tardif de la conscience politique du peuple ; marquée par l’imminence fatale de la réélection de Bouteflika, l’œuvre peine à trouver une ligne directrice et sombre dans un déroulement cyclique, éminemment lié à l’anti-progression du journal. Laissant les rédacteurs s’exprimer sans jamais intervenir directement, Malek Bensmaïl ne se fige pas sur un unique point de vue et embrasse une multitude de postures, oscillant entre celle de Hacène, abreuvé de théories marxistes ; celle de Hassan, musulman influencé par « son fond religieux » ; et celle de Mustapha, engagé dans le mouvement citoyen Barakat (« ça suffit »), mouvement protestant, au moment de la campagne présidentielle, contre la quatrième candidature de Bouteflika. Ces voix, tantôt concordantes, souvent discordantes, si elles font parfois sourire, témoignent in fine du mal-être profond qui ronge une société algérienne rendue incapable, au fil des années, de structurer une opposition tangible. Subsiste une véhémence qui force le respect, exposée avec talent dans un documentaire didactique susceptible d’intéresser un public français trop peu connaisseur des sinuosités géopolitiques d’un pays relativement proche, et faisant partie intégrante de l’histoire de l’hexagone.
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le 2 févr. 2016
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