Inspiré par le journal de Madeleine Pauliac, résistante et médecin-chef de l’hôpital français de Varsovie pendant l’après-guerre, Les Innocentes (ex Agnus Dei) pâtit d’un traitement d’une froideur extrême… aux antipodes de la richesse thématique de l’histoire originelle.
Le film narre l'histoire de Mathilde Beaulieu (Lou de Laâge), une jeune médecin en mission en Pologne. Initialement partie pour soigner des soldats blessés avant leur rapatriement en France, son quotidien sera bouleversé par l'irruption d'une nonne polonaise (Joanna Kulig) dans le dispensaire de la Croix-Rouge qui lui sert de lieu de travail. Les sœurs de la religieuse ont été violées par des soldats russes lors de la libération, et plusieurs d’entre elles arrivent au terme de leur grossesse. Mathilde acceptera de leur apporter son aide... Elle sera confrontée à la pudeur de femmes pieuses, soucieuses de préserver leur honneur face à l’atrocité du monde.
Né d’une idée originale de Philippe Maynial (neveu de Madeleine Pauliac), adaptée par Sabrina B. Karine et Alice Vial, Les Innocentes est un film pétri d’intentions louables. Anne Fontaine délaisse la lourdeur stylistique avec laquelle elle traite usuellement ses drames pour opter pour une mise en scène épurée, en symbiose avec les conditions de vie modestes des nonnes. Pour autant, cela n’empêche pas l’œuvre de jouir d’une direction artistique notable, accordant un souci certain aux détails (jusqu’au corset que porte Vincent Macaigne pour se tenir droit) ; et d’une photographie admirable, Caroline Champetier éclairant ses plans de manière à souligner les expressions de ces religieuses, affublées de tenues pesantes et dissimulant l’entièreté de leur corps à l’exception de leur visage. Du reste, il convient de saluer l’intensité et la justesse des interprétations d’Agata Buzek et d’Agata Kulesza, qui incarnent respectivement la sœur Maria et la mère supérieure du couvent. Ces interprétations, desservies par une faiblesse scénaristique déplorable, sont à l’image du film : si la facture demeure correcte, Les Innocentes est grevé d’éléments dysfonctionnels aboutissant à une difficile implication émotionnelle de la part du spectateur. Le quatorzième long-métrage d’Anne Fontaine est meurtri par une narration astructurelle, mêlant aléatoirement la souffrance et les doutes des religieuses, les difficultés de Mathilde lorsqu’elle doit rendre des comptes à sa hiérarchie, l’ignominie du viol, la décrépitude de la morale en période de guerre… tant de sujets qui ne demandent qu’à être transcendés par la puissance évocatrice du cinéma. Mais dans la présente œuvre, il n’en est rien : le scénario se cantonne à l’exposition successive de contenus factuels, ankylosés par une histoire d’amour superficielle servie par un Vincent Macaigne cantonné (malgré les apparences, l’acteur jouant un médecin juif, unique survivant d’une famille morte dans les camps) au rôle de relief humoristique, et par les idéaux communistes de Mathilde, doctrine fantasmée du personnage ayant peu ou prou d’incidence sur les évènements du film. D’aucuns diront que cette pudeur cinématographique (personnifiée par Lou de Laâge, aussi discrète qu’appliquée) s’accorde à la pesanteur du secret que doivent garder les sœurs, d’autres regretteront de ne pouvoir admirer que la partie visible d’un iceberg de tourments humains, le manque de profondeur suppléant à un impératif de sobriété. Restent des nappes musicales subtiles et les dialogues de Pascal Bonitzer, assez incisifs pour évoquer ce que la caméra d’Anne Fontaine ignore, sciemment ou non.
(retrouvez la critique sur aVoir-aLire : Les Innocentes)