"Les innocentes" : l'adjectif se rapproche souvent des notions de naïveté, de méconnaissance du monde, donc de pureté. Tel sera le cas de la trentaine de Bénédictines que Mathilde Beaulieu, interne à la Croix Rouge française en Pologne, à la fin de la guerre, sera amenée à secourir, dans la vague d'accouchements en chaîne qui va secouer leur fragile communauté, enclave catholique en terre communiste, et victime du passage, sur leur corps violenté, des soldats russes, à la suite des allemands.
Méconnaissance de leur corps, du corps des hommes, de ce qui peut advenir de leur rapprochement ; certaines nieront leur gravidité, d'autres refuseront de se laisser examiner, palper, même par une femme médecin, d'autres riront nerveusement au contact de ses mains. D'autres hurleront. Des innocentes, en effet.
Le sens étymologique de l'adjectif est toutefois plus fort, renvoyant à l'idée d'une incapacité à nuire, à être nocif. Nocive, la plus "innocente" d'entre elles, en principe, puisque Mère Supérieure placée à leur tête, le sera cependant, et radicalement, constituant ainsi l'un des écueils sur lesquels cette belle nef filmique va, si ce n'est se briser, du moins ouvrir une méchante brèche dans sa coque. Car le film, sur sa fin, aboutit à une dichotomie un peu simpliste, la grande méchante se mourant solitairement sous l'effet de la syphilis qui lui est échue, pendant que les vraies innocentes resserrent béatement les liens de leur communauté dans un couvent devenu nursery.
On se plaindrait moins de ce trait s'il était le seul à être si lourdement appuyé. Mais on n'a pu, déjà, se défendre d'un certain agacement devant l'air benoîtement ravi que prend le personnage de Lou de Laâge, lorsque celle-ci se retrouve au sein de la petite troupe de nonnettes dans des moments d'apaisement, comme si la fille de communistes qu'elle incarne ici se trouvait soudainement touchée par la grâce. Certes, l'éloignement des hommes a de quoi faire toucher à la félicité, compte tenu du portrait qui en est vigoureusement brossé ici, entre violeurs de jeunes filles et médecin peu séduisant tentant humblement - et assez vainement - de se faire aimer. Mais à pousser si loin la démonstration, Anne Fontaine pourrait éveiller, en réaction, le désir de fonder une ligue homministe.
On pardonne d'autant moins à la réalisatrice le traitement sommaire auquel elle se livre qu'elle tenait dans cet événement historique un sujet d'une grande richesse, ayant le mérite de mettre sur la table une thématique malheureusement immémoriale, le traitement des femmes en temps de guerre. Elle a su, qui plus est, s'entourer d'une excellente équipe technique, qui éclaire parfaitement les intérieurs comme les extérieurs et réalise des images en couleurs mais tellement privées de vie, dans ce pays de neige traumatisée, qu'elles se rapprochent d'un superbe noir et blanc.
Mais il fallait que ce contraste tranché n'affecte que l'image, sans gagner le traitement narratif de ce très bel épisode de solidarité féminine.