Cortex
5.7
Cortex

Film de Nicolas Boukhrief (2008)

La même chose que chaque nuit...

L'histoire d'un policier retraité qui mène l'enquête dans une maison de repos alors qu'il a Alzheimer. Ca pouvait se montrer intéressant, tiraillant même étant donné les situations et problèmes pouvant découler de la maladie du personnage principal. Moi qui avais constaté au cours des visionnages de Bubba Ho-Tep qu'il n'y avait pas assez de films avec des retraités en tant que personnages principaux, j'étais servi. J'aimais bien l'idée que les faiblesses d'un personnage âgé soient exploitées dans un film comme des obstacles à sa progression dans l'intrigue.

Heureusement que je n'ai pas su avant de voir Cortex que la co-scénariste avait aussi co-écrit Dernière séance, sinon ça m'aurait peut-être rebuté.
J'ai eu par contre la surprise et le plaisir de retrouver, encore une fois, Philippe Laudenbach et Claude Perron, déjà présents dans Le convoyeur de Nicolas Boukhrief, et qui sont les deux personnalités que j'aimais le plus dans le casting de ce précédent film. On a aussi une sosie de Shelley Duvall qui reste muette et qui a le visage plus marqué, plus creusé. Avec un peu d'imagination on peut se dire que Mrs Torrance a fini par péter les plombs à son tour et a fini dans une maison de repos. Non, je dis n'importe quoi.

Dans Le convoyeur, on explorait le milieu des convoyeurs de fonds, dans Cortex, Boukhrief s'intéresse à l'environnement d'une maison de retraite. Ces deux films m'évoquent une association de termes, "thriller social", qui les définit très bien tous deux. Dans les deux cas, le réalisateur/scénariste se penche sur des sujets graves de notre société, et profite d'une intrigue policière pour dépeindre des milieux et des conditions de vie.
André Dussolier joue Charles, qui est emmené à La Résidence, une "maison de repos" en début de film. Souffrant d'Alzheimer, durant le trajet en voiture, il cherche à se rappeler des prénoms et places des membres de sa famille, avec l'aide de son fils. Ca pose de suite la situation, et instaure direct un caractère dramatique.
Quand son fils lui annonce plus tard que sa femme et lui se séparent, le père ne se souvient plus de qui est cette "Karine".
Il semblerait qu'en début du film il en oublie même momentanément son ancien métier, et on l'apprend non pas par lui, mais par un infirmier qui discute. Il se pourrait même qu'il l'apprenne également à Charles par la même occasion.
A la clinique, on le voit pris en charge comme un enfant, et malheureusement c'est approprié car en arrivant en ce lieu il semble perdu, son regard, comme son esprit je suppose, s'égare on ne sait où, attiré par on ne sait quoi ; le sait-il lui-même ?
Héros du film néanmoins, Charles est quand même resté suffisamment malin pour pouvoir par la suite mener l'enquête. Preuve qu'il n'a pas complètement perdu la tête quand il demande à Thomas confirmation qu'il est son fils, pour en réalité lui demander pourquoi, dans ce cas, il ne fait pas ce qu'il lui réclame (à savoir demander comment un des pensionnaires est mort).

Le pauvre Charles se retrouve en un lieu où, malgré ses problèmes, il est sûrement le plus lucide. Alors qu'il cherche des réponses, il se heurte à des dialogues de sourds avec les autres résidents. Sûrement pas le meilleur environnement pour aller mieux.
On voit Charles exercer sa mémoire avec un médecin, et on a envie de le voir réussir, pour des trucs aussi bêtes que de se souvenir de 3 mots qu'on lui donne, il y a carrément un léger stress car on est en empathie avec lui.
Pour nous placer en quelques sorte dans le même état que lui, certains personnages ne nous sont pas présentés, ainsi quand on les voit demander à Charles s'il se souvient d'eux, on se retrouve un peu dans la même situation que lui, et on ne sait pas si lui les a déjà vus ou non lors d'un moment auquel on n'a pas assisté.
Nicolas Boukhrief fait ce qu'il faut pour nous placer un peu plus dans l'état des retraités. La mort de l'un d'eux peut être vue comme un évènement auquel il fallait s'attendre, mais est assurément tragique pour les personnes qui vivent dans une maison de retraite et peuvent se voir partir de la même façon à tout moment. Le décès d'un personnage du film est alors rendu tragique par l'attachement créé auparavant, et par sa relation privilégiée avec le personnage principal.
Tout ne va pas si mal, puisque le fils de Charles reste un soutien, et parle avec honnêteté avec son père, "je ne vais pas commencer à te mentir" dit-il pour justifier qu'il lui parle de sa femme même s'il ne se rappelle pas de son prénom. Il le traite ainsi encore comme un humain malgré sa condition, alors que je pensais que le placement dans l'institution changerait leur rapport. J'étais réjoui du comportement du fils, d'une justesse malheureusement peu commune.
Car en général, ce qui arrive, c'est qu'une fois une personne âgée placée en centre, on ne la traite plus de la même façon. C'est un peu ce qui arrive tout de même quand on accuse Charles de délirer avec ses histoires de meurtre.

En fait dans ce film on trouve le changement de traitement essentiellement chez les employés de La Résidence.
Une infirmière prive des pensionnaires de leur liberté d'action : elle ne les autorise pas à fumer, à se tenir la main, certainement selon ce qu'elle juge comme n'étant pas adéquat.
Une fois dans la maison de repos, les gens sont placés sous la responsabilité du personnel, sous leur autorité, et ne sont plus libres de sortir mais aussi d'agir comme ils veulent. C'est pour leur bien dans une certaine mesure, mais ça peut aussi leur nuire.
Les infirmières obligent les résidents à se lever, les obligent à aller dormir ; elles contrôlent leur vie.
Elles contrôlent tout, l'une lit les notes du carnet de Charles, comme pour vérifier je ne sais quoi, il n'y a plus d'intimité.
La chef, Francine, étonne à un moment en se montrant compréhensive avec Charles, lui disant pour sa part qu'elle n'a pas lu ses notes et laisse leur intimité aux pensionnaires ; aussi autoritaire qu'elle ait pu sembler. Le film présente ainsi des personnages avec plus d'une facette, et non manichéens.
Apparemment, dans ce qui n'avait pas plu à certains avec Le convoyeur, il y avait le fait que c'était trop éloigné de la réalité et donnait une mauvaise image du métier présenté. On pourrait appliquer la même chose à Cortex, avec le milieu des aides-soignants et infirmières, mais m'étant déjà suffisamment rendu dans des lieux comme celui du film, je veux bien croire que ça correspond à une réalité, même avec les éléments du film qui vont le plus loin, comme le vol d'argent par les employés. Non, en fait je suis même certain que c'est le genre de chose qui se fait.

Je ne connaissais que vaguement Le convoyeur il y a quelques temps, et je n'avais nullement eu connaissance de Cortex ; Nicolas Boukhrief me donne l'impression d'être un réalisateur qui n'est pas encore sorti de l'ombre, ce qui n'empêche pas qu'il a de bonnes idées.
Une réplique d'un infirmier m'a particulièrement marqué et plu : (à propos de la mort de quelqu'un) "Faut oublier maintenant". Et il propose un somnifère.
J'ai aimé aussi l'idée que Charles lise et récite le texte d'une aventure de Sherlock Holmes pour faire travailler sa mémoire, surtout qu'à chaque fois on croit que ça correspond à ce qu'il se passe dans le film.
Du côté de la mise en image de l'histoire, il y a une ambiance plutôt froide, mais installée sans insistance, contrairement au Convoyeur avec ses tons bleus ou jaune pisseux rajoutés en post-prod.
Le rythme du film est lent, mais ce n'est pas dérangeant pour moi. C'est nécessaire pour poser le décor, nous habituer à ce qu'est la vie à la maison de repos, etc. C'est aussi probablement pour se calquer sur le rythme de vie de ces personnes âgées mais, comme dans Bubba Ho-Tep, ça ne m'a pas paru trop lent, sûrement parce que mine de rien le temps est bien rempli.

Tout du long, on se demande si Charles est vraiment sur une piste ou s'il imagine tout, surtout qu'il n'a pratiquement aucune preuve, et qu'il n'y a aucun motif auquel on peut penser.
... un peu comme dans, toujours, Bubba Ho-Tep, où l'on se demande si Elvis est vraiment Elvis ou s'il n'a pas tout inventé, en tant que vieux sénile. En tout cas j'aime le fait que soit exploité ce type de faiblesse du personnage principal, et qu'on ne puisse même pas être sûr de lui.
En fond, on a une histoire récurrente de chef des infirmières qui doit être remplacée, et les employés de la clinique s'interroge dessus sans arrêt. Pas trop compris en quoi cette sous-intrigue était utile.
La fin du film est, c'est dommage, trop simpliste. Il n'y a même pas de motif valable de présenté, et j'aurais aimé que le personnage ait vraiment tout inventé, là ça aurait été intéressant, dramatique, et subversif.
Je ne suis néanmoins pas déçu du voyage, quoiqu'à l'arrivée je me dis que l'idée de départ aurait pu être mieux exploitée. Il y aurait eu plus à faire avec un ancien flic menacé dans une maison de retraite et qui oublie un peu tout. Tout ce qu'on a, c'est un moment du film où il croit que l'assassin lui a volé ses notes dans son carnet, alors que nous, spectateurs, savons que c'est lui qui a caché les pages qu'il cherche sous son oreiller. C'est bête et assez frustrant.

Je conseillerais quand même Cortex, il mériterait d'être un peu plus connu.
Fry3000
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le 24 févr. 2012

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