COSA NOSTRA sorti la même année - 1972 - que THE GODFATHER (le Parrain), premier opus de la trilogie de Francis Ford Coppola, souffre à la fois de la concurrence de ce chef d’œuvre tout autant qu'il en gagne en richesse et profondeur. Toute personne ayant lu une œuvre sérieuse consacrée à la mafia, comme A Complete History of The Mafia de Jo Durden-Smith comprendra que c'est vers COSA NOSTRA qu'il faut se tourner, non pas pour épancher sa soif de courses épiques, d'actions violentes (quoique en la matière ce film ne tarit pas de scènes sanglantes) et de poses viriles, mais pour comprendre les arcanes et les rites de cette organisation tentaculaire, du seul point de vue italo-New-Yorkais. Deux heures, il en aurait fallu six pour être plus dissert, de plongée en apnée dans les guerres de pouvoir et les trahisons d'hommes se référant sans cesse au code de fidélité. Tout y passe. De l'évolution de l'organisation elle même fragmentée en plusieurs familles concurrentes, à la structure pyramidale sous le règne des capo, jusqu'aux mythiques réunions collégiales des familles New-Yorkaises et l'expansion de l'organisation à l'Europe méditerranéenne (et donc Marseille) avec les débuts du trafic de stupéfiants et la fondation de la French Connection. Rites d'entrée dans la Famille, mariages, morts, honneur, confidences, baiser de la mort, règlements de comptes et alliances mouvantes, un film chorale tant nous devons traverser le film en compagnie d'une multitude de gueules et de personnages - Joe Masseria, Salavatore Maranzano, Francesco Rosi Lucianno, Albert Anastasia, Viteo Genovese - avec pour ceux points de repère Charles Bronson et Lino Ventura dans un rôle assez rare de grand salaud.
Deux acteurs mutiques aux allures de roc avec cette amusante situation de voir Lino Ventura donner la réplique à Charles Bronson, d'à peine 3 ans son cadet et déjà de multiples fois célébré, comme si ce dernier avait 20 ans de moins et tout à apprendre. Sur ce point, le maquillage et les postiches ne permettent pas tout, et faire croire un temps que Bronson, 50 ans au temps du tournage, a 20 bougies, c'est y aller un peu fort. Mais on pardonnera cette faute de goût, grâce à des seconds rôles réussis. Joseph Wiseman est un savoureux Maranzano, même si son portrait est dressé avec trop de complaisance. Fini le colérique et instable capo en temps de paix, il est présenté comme un père aimant et cultivé. Angelo Infanti en "Lucky" Lucianno est magnétique au possible, presque minéral, Walter Giari en Gap fait un excellent compagnon.
Coté action, le film est de 1972, on se contentera donc du rouge tomate pour le sang et d'effets datés, voire foireux (les tours du World Trade Center dans les années 1920's en fond), même si globalement le film est de bonne facture. Si l'on devait aligner ce métrage sur les canons actuels, cela en ferait un film classé R par la MPAA, à la limite du NC-17, car la seule chose qui manquerait serait des scènes de sexe crus, bien qu'à certains moments il y ait eu matière (les orgies organisées par Gap et son émasculation, la scène de la douche en prison). On tire beaucoup, on poignarde, on strangule avec une cordelette, on tabasse, on tue même avec un croc de boucher planté à même le dos, le film n'est pas avare en meurtres.
Ce qui en fait définitivement un film différent c'est le rythme quasi documentaire, le choix d'une histoire narrée et donc une certaine lenteur parfaitement supportable, là où THE GODFATHER avait choisi une histoire romancée et plus mélo-dramatique. Mais ce film ne peut se départir de la vérité, car il raconte une vérité, celle du héros, celle de Joe Valachi, authentique repenti des années 1960's, l'un des premiers à avoir permis de démanteler la Cosa Nostra et sans doute le premier à avoir témoigné avec autant de détails et d’anecdotes sur l'histoire, en interne, de l'organisation. Pris de remords, il tentera de se suicider en 1966 avant de mourir d'un cancer en 1971, survivant alors à Vito Genovese le Capo di Tutti Capi dont le baiser de la mort l'avait condamné d'une manière ou d'une autre. Un Vito Genovese persuadé que Valachi allait parler aux fédéraux, et qui, pour le film, aura surtout précipité ce dernier, désireux de ne pas finir planté dans un bac de douche, dans les bras des autorités. Or c'est bien son concurrent Franck Costello qui l'avait piégé et non Valachi, fidèle soldat de la Famille parmi les fidèles. Un film majeur sur une organisation criminelle (en 2004, rien qu'à Naples, 160 meurtres ont été causé par la Cosa Nostra), qui a inspiré un grand nombre d’œuvres postérieures et notamment celles de Martin Scorcese, Alexandre Arcady, Abel Ferrara et Brian de Palma, pour la rigueur de sa démonstration.
A voir en complément du plus poétisé et plus esthétique THE GODFATHER, pour avoir une vraie vue d'ensemble du phénomène.
7/10