Au début des années 1960 le western est en grave crise existentielle (pas productive). Les représentations ne sont plus idylliques ou optimistes, certains opus se montrent critiques envers l'Histoire des États-Unis (notamment sur le traitement des indiens – La prisonnière du désert, Les deux cavaliers), condamnent une sauvagerie dont ils réclament le dépassement (L'homme qui tua Liberty Valance). Le terrain est ouvert pour une réformation ou une liquidation : il y aura les deux, avec un épicentre italien, corruption ultime pour le genre le plus américain.
Peckinpah est l'auteur le plus radical de cette séquence et le plus à fond sur la décadence. Avant de saturer le western (Pat Garrett) et d'exulter un cinéma de la violence (Chiens de paille, Alfredo Garcia), il connaît des débuts contrastés. Ride the High Country/Coups de feu dans la Sierra est le plus important de ses trois premiers films, pour ses qualités propres et parce qu'il est significatif dans le contexte de déniaisage d'un genre. Les héros du passé sont rétrogradés. Ils sont vieux et inspirent un respect poli aux gens comme aux autorités locales. Il flotte toujours un bon esprit, mais la farce et le cynisme l'abîment et le refoulent sans arrêt. Le monde n'est plus tout à fait vierge, les cartels et les habitudes commencent à s'ancrer. Tous les repères sont encore conventionnels, mais ils cohabitent avec d'autres, utilitaires, universalistes par le bas. Les aventuriers ont été absorbés par le nouvel ordre, par la logique du commerce.
Les archétypes sont carrés, parfois sur la ligne entre la perfection et la régression (comme le père, puriste replié, cite la Bible à chaque occasion et en trouve dans une phrase ou un geste sur deux). Le film part sur un postulat routinier, avec son trio d'hommes transportant de l'or et une perturbatrice (la fille profitant de leur passage pour rejoindre son promis Billy), pour aller, avec confiance mais sans fanfares dans une impasse. Pour les deux anciennes figures du western arrivées à l'âge mûr, c'est la frustration tranquille, à demi-consciente ; l'indifférence et la droiture sont leurs défenses. Pour la jeune fille c'est une désillusion : pour elle, la perspective d'évasion s'écroule. Elle en voit l'incarnation ultime tombée en désuétude, la version moderne est un désastre : c'est la pire prisonnière de l'antichambre entre jungle et civilisation. Son filtre subjectif (littéralement lors de certains plans où on voit ses tourmenteurs) enrichit le film, lui donne une puissance émotionnelle et une accroche généraliste, en plus de tout ce qu'il travaille dans le cadre du western.
Les cow-boys vivent une mésaventure, Elsa une piteuse tragédie : elle est sortie de l'isolement pour sombrer dans la médiocrité. A-priori l'ambiance n'est pas glauque, elle est même affable, mais l'inadéquation d'Elsa permet d'en ressentir la laideur, avant que se révèle toute son ignominie banale. La course se tasse dans une cité de 'loubards' empâtés et gentils, pas moins vicieux ; autant de braves paillards et mecs affamés. Ils sont trop proches des bêtes et il n'y a pas assez de foi, de loi, ni de nécessité à l'horizon pour les dresser. Cet état des lieux est cru mais pas apocalyptique. Le ton est mixte, adulte mais à la fois sucré (beaux engagements, sentiments doux et francs) et désabusé (les gens sont souvent dégueulasses et nos héros savent s'adapter). C'est encore le 'western' classique, moral, quoique Peckinpah le secoue, le frotte cash à la crasse (la brutalité et les côtés dantesques de La Horde Sauvage sont loin) et surtout le sépare de ses légendes. Randolph Scott et Joel McCrea se tiennent bien en restant à demi-conscient e leur vieillesse, endormis dans leurs rôles dont l'aura a foutu le camp.
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