Crash, adapté du roman éponyme de J.G. Ballard (1973), défraya la chronique Cannoise au mitan des années 90, ne pouvait que remporter les suffrages des cinéphiles exigeant.e.s. Prix Spécial du Jury pour « son audace, son sens du défi et son originalité », contre l'avis même du président dudit jury, Francis Ford Coppola, les polémiques stériles apparues, il y a déjà un quart de siècle, ont laissé la place à une réévaluation quasi unanime, tant ce douzième long métrage de David Cronenberg peut être considéré légitimement comme l'un des sommets artistiques du réalisateur canadien. Vénéneux, clinique, obsessionnel, déviant, malaisant, les qualificatifs ne manquent pas pour décrire ce film d'horreur d'un autre genre.
Seconde collaboration avec le producteur britannique, Jeremy Thomas, qui avait pris intuitivement, dès 1983, une option sur les droits cinématographiques du roman publié dix ans plus tôt, et après une autre adaptation réputée elle-aussi impossible, Le festin nu d'après William S. Burroughs, Crash aurait pu s'inscrire à bien des égards comme un nouveau défi pour David Cronenberg. Or, il n'en est rien. Le film s'apparente au contraire comme l'aboutissement d'une filmographie dont les prémices s'étaient déjà signaler en 1988 avec le non moins troublant Faux semblants.
Adoubé par le romancier britannique à qui le cinéaste avait envoyé le script fin 1994, Crash, sans le point d'exclamation originel, fut dépeint par Ballard comme « un prolongement et un dépassement » de son oeuvre originelle. Qui oserait le contredire ? Respectant la structure, et en grande partie les éléments narratifs du roman, David Cronenberg procède de la même radicalité, de son refus d'offrir un quelconque libertinage à son détournement de l'esthétique porno chic. Mieux, à l'instar du roman, Crash, le film, dépasse tout autant le simple cadre de l'essai symphorophile provocant pour spectat.eur.rice.s. en mal de sensations fortes. Clinique, froid comme le métal d'une carrosserie de voiture, le long métrage est un modèle d'anti-érotisme, ce qui ne manque pas de piquant en relisant les critiques anglo-saxonnes, lors de la sortie du film, taxant le canadien de pornocrate bon pour l'asile.
Portrait mélancolique d'un couple incapable de communiquer autrement que par le sexe, leurs actes se réduisant à combler vainement leur frustration, leur rencontre avec Vaughan fera définitivement basculer les époux Ballard. Guidé par une imagerie faussement pornographique, le film n'a pas, faut-il le rappeler, vocation à émoustiller son public à l'image des dialogues du couple lors de leurs oaristys. De la recherche du plaisir solitaire à cette hypersexualisation sans désir, le film relate la quête désespérée de cette petite communauté de fidèles, guidée par ce faux-prophète, et futur martyr de « la refonte du corps humain par la technologie moderne », à la recherche d'une autre sexualité, qui prend sa source dans les stigmates (cicatrices et autres prothèses métalliques) nés des accidents de voiture.
En écho à la « nouvelle chair » du prophétique Videodrome (1982) mis en scène par David Cronenberg une décennie plus tôt, Crash développe cette fois-ci le concept d'une nouvelle mutation, celle d'un corps scarifié par une prophétie biomécanique « sale et débraillée ». Sur fond de relations sexuelles et de happenings postmodernes, la reproduction des accidents de stars hollywoodiennes (James Dean et Jayne Mansfield), le long métrage se distingue enfin par la distanciation de son metteur en scène et son rapport inédit au récit par la répétition de scènes de sexe qui constitue l'intrigue principal de Crash.
Le scénario en soi, a écarté les acteurs qui n'auraient pas eu le cran de faire ce que je leur demandais" David Cronenberg
D'un tournage de dix semaines, se déroulant entièrement à Toronto et dans sa banlieue, le film peut compter sur les fidèles Peter Suschitzky à la photographie et de Howard Shore à la musique, qui livrent ici, sans nul doute, leur contribution la plus brillante et originale. Des images froides, métalliques, bleues et grises à la partition unique du compositeur avec son orchestre composé de six guitares électriques, trois harpes, instruments à bois et percussions, tout concourt à faire de Crash une oeuvre totale.
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