Heaven & Hell
Nous sommes en 1994, Peter Jackson n'a pas encore conquis Hollywood avec ses adaptations de Tolkien et sort de deux films gores et un de marionnette dans sa Nouvelle-Zélande natale, lorsqu'il va se...
le 9 déc. 2017
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Créatures Célestes aurait pu n'être qu'un biopic, celui de Pauline Parker et Juliet Hulme – Melanie Lynskey et Kate Winslet, à qui on pardonne un jeu parfois crispant, c'est leur premier rôle – dont l'histoire avait fait la une des rubriques faits divers en Nouvelle-Zélande dans les années 50. En effet, les deux jeunes filles s'étaient organisées pour assassiner la mère de l'une d'entre elles, persuadées qu'elle était un obstacle à leur projet, dans l'optique de s'enfuir ensemble à l'autre bout du monde.
Et même s'il en retrace l'histoire, s'appuyant même sur les écrits intimes de Pauline Parker, introduits par voix off, Peter Jackson prend son sujet à revers et, plutôt que de narrer sobrement, va jusqu'à faire de son film un réquisitoire contre l'opression sociale et religieuse réactionnaire d'une certaine époque, un plaidoyer vibrant pour la liberté, sous toutes ses formes, et pour les bienfaits de l'imagination.
Non, plus que de faire du meurtre morbide le cœur de son film, Jackson va davantage mettre l'accent sur les raisons pour lesquelles il est arrivé, et, plutôt que de condamner avec bêtise (comme avaient pu le faire les journaux d'alors), il va l'expliquer, se l'approprier, allant jusqu'à donner à son œuvre des allures de pure fiction, écartant toute possibilité ou aspiration voyeuriste des spectateurs. Dans un premier temps, peu nous importe de savoir si le film est basé sur des « faits réels », tant on est aspiré par ce qu'il a à nous offrir.
Car Jackson est un artisan, puisant dans les sources de l'histoire pour créer de toute pièce un univers qu'il fait sien, et nôtre par la même occasion. Il n'a pas pour intention de rendre un témoignage réaliste, ou crédibilisé, mais de le modeler, le réécrire, avec le cœur. Lorsqu'il met en scène le monde imaginaire de Pauline et Juliet, l'on sent qu'il s'amuse comme un petit fou, retranscrivant les mots en images de synthèse façon carton-plâtre, presque vieillottes aujourd'hui, mais possédant un charme inexpliqué, magique, exhumant les souvenirs d'empires que nous battissions, nous aussi, fut un temps, et que personne d'autre ne pouvait voir.
Plus que de la compassion pour ces deux jeunes filles, qu'un état proche de la folie persuasive et hallucinatoire mène vers un point de non-retour, c'est de la compréhension que nous ressentons pour elles, une identification totale. Car nous sommes tous un peu comme elles, au fond : passionnés. C'est la passion qui les emporte. La passion amoureuse qu'elles ressentent l'une pour l'autre (bien que teintée de candeur), mais surtout leur passion commune pour l'art – dessin, cinéma, musique, sculpture – qui les emportera à tout jamais par delà les cieux du monde réel.
Car celles qu'on voudrait à tort désigner comme des bourreaux sont en fait des victimes. Les victimes d'une société post-Seconde Guerre mondiale que le temps ne semble pas encore avoir affecté, toujours maintenue par des carcans réactionnaires en passe d'évoluer, mais qui les maintiennent dans l'ignorance et l'intolérance (l'homosexualité se doit d'être soignée chez un professionnel, et des « méthodes curatives seront peut-être créées dans un futur proche »), soutenue par l'omniprésence de l'Eglise comme référence d'éducation.
L'Eglise et l'autorité, Pauline et Juliet s'en moquent ouvertement, canonisant Mario Lanza ou James Dean en tant que Saints, les leurs, ceux qu'elles auront choisi. A Jésus-Christ, elles préfèrent leurs propres idoles, seuls modèles fiables dans un milieu qui voudrait les voir régresser. Et finalement, si elles préfèrent la fiction à la réalité, c'est parce que la première leur offre ce que la deuxième leur refuse : la pleine liberté, plus de restrictions, sans bornes.
Et si elles se font avaler par celle-ci, ne parvenant plus à dissocier le vrai du faux, le tangible de l'illusion, se renfermant dans un univers fictif dont elles seules détiennent les clés, c'est parce que la réalité n'est plus tolérable, trop difficile à accepter, et qu'à une vie qu'elles subiraient, elles préfèrent encore la mort. Dans tous les cas, le Quatrième Monde leur ouvrira ses portes quand la Terre ferme les aura rejeté...
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le 27 juil. 2015
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