Creepy est long, apparemment ambitieux, et joue sur plusieurs tableaux : autant de raisons malines qui vous feront trouver, si telle est votre disposition d’esprit, des mobiles pour l’encenser.
Dans la lignée des films de plus en plus exigeants et fascinants de son confrère coréen Na Hong-Jin et particulièrement de son dernier opus The Strangers, Creepy est d’abord un jeu de fausses pistes, pourtant très balisé. On ne nous épargnera rien des poncifs inhérents au polar : la scène traumatique originelle justifiant la démission du flic, l’enquête, les coïncidences troublantes, les retours sur trauma dans un logique de résilience toute américaine, d’ailleurs assumée par un « Tout est plus impressionnant aux Etats Unis » pas si ironique que ça.
Il faut concéder que les premières séquences, et plus particulièrement la mise en espace de l’intrigue, instaurent un climat propice à un thriller malaisant : l’investissement de la nouvelle maison, la visite aux voisins (très belle première approche d’une façade inerte, d’une grille rouillée et d’une bâche flottant dans la brise dans un plan fixe trop long pour ne pas susciter l’angoisse), les premiers contacts fonctionnent par ce qu’ils sont régis par l’ellipse : temporelle, d’abord, dans la rupture de certaines séquences, mutique dans le comportement des personanges secondaires (la fille du voisin, mais aussi celle de l’ancienne affaire sur laquelle enquête le flic soit disant retirée des affaires) spatiale aussi, puisque des territoires béants et invisibles commencent à trouer dangereusement le nouvel environnement.
Ce jeu avec les cadres, la disposition des maisons vues du haut de la colline (on repense à la formidable utilisation qu’en avait fait Kurosawa dans son polar Entre le ciel et l’Enfer), les brusques embardées qui viennent briser la distance toute japonaise en vigueur entre les personnages permettent donc une mise en place pertinente du thriller.
Malheureusement, il faut faire preuve d’une grande tolérance pour que la fascination perdure dans le dernier tiers d’un récit bien trop long et paresseux dans ce qu’il a à révéler.
(Spoils)
La lisière avec le fantastique permet généralement une ambiguïté, un point de bascule qui bouleverse les repères et peut accroitre l’effroi. C’est le contraire qui se produit ici. L’argument qui consiste à contrôler les personnes par une simple injection n’est pas seulement grossier, il fait s’effondrer tout ce que le psychopathe pouvait avoir de fascinant dans ses premières approches. Avec un tel accessoire, on pourrait en écrire, des thrillers…, d’autant qu’on se situe davantage dans une sorte de réalisme poussif que sur le terrain du surnaturel. Le dénouement est à l’avenant, sans aucune explication si ce n’est la capacité du protagoniste à réussir là où il avait échoué dans le prologue.
On en ressort avec l’impression tenace de s’être fait flouer, bien plus par le scénariste que ses personnages, pantins exsangues dans une impasse qui avait pourtant, dans son embrasure, bien des charmes vénéneux.
(5.5/10