Connu pour être le premier film à avoir raflé l'Oscar du meilleur acteur en 1928, « Crépuscule de gloire » est également l'une des premières œuvres cinématographiques se penchant sur la mise en abyme de son propre médium. Le film démarre immédiatement par un paradoxe, nous présentant son personnage principal, le Général tsariste Dolgorucki, en train de passer un casting pour incarner son propre rôle à Hollywood. La tonalité fataliste de l'œuvre se transforme en évidence, à voir l'ancien homme le plus « puissant » de Russie chuter de la réalité à la fiction. Une réalité sur laquelle le film se centre par la voie d'un flashback, précipitant le spectateur dans une Russie à l'aube de la révolution. Ainsi, durant toute cette heure et demie, le réalisateur Josef Von Sternberg articule sa caméra autour d'un seul thème : la réalité cadrée par la fiction, et vice-versa, proférant au film une réflexion sur Hollywood, la chute sociale, tout en nous immergeant dans l'hivers russe de 1917.
Pourtant, « Crépuscule de gloire » a tout d'un mélodrame hollywoodien classique, face auquel il est facile de pleurer. L'académisme n'y est pas, mais les larmes le sont. Car Josef Von Sternberg et son équipe mettent en boite un sublime drame humain regardant de haut l'industrie du cinéma et montrant les hommes derrière leur posture. Dans les traits d'Emil Jannings, Dolgorucki est un homme incroyablement charismatique, dont la carrière dans l'armée russe et faite d'honneur. Il ne veut pas sacrifier inutilement ses hommes, et on devine même sous sa carapace inexpressive un semblant de romantisme. À ce titre, les antinomies s'enchainent, notamment lorsque Natacha devient garce pour sauver ce général qu'elle aime, alors que ce dernier est annihilé par la révolution, et le métier de cinéaste révèle la noblesse d'un ex-révolutionnaire. Et le tout est filmé avec une telle lucidité que la virtuosité du métrage s'impose d'une manière extrêmement naturelle, couvrant également des gags ingénieux ainsi qu'une grande puissance émotionnelle.
Depuis presque cent ans, l'illusion hollywoodienne aura donc rarement été aussi bien maitrisée. À Hollywood, tout sonne faux, tout n'est qu'illusion, au même titre que cette armée menée par des petits chefs sans charisme ni connaissance. « Crépuscule de gloire » dénonce également le traitement fait au figurant, abusés comme de vulgaires pantins, ramenant directement aux soldats russes montrés au début du métrage, traités avec humanité par Dolgorucki. L'ampleur du métrage se retrouve magnifiée sur un plan final particulièrement mélancolique, représentant la mort du général alors que celui-ci était en train de jouer son propre rôle, avec au premier plan, une caméra, toujours en train de tourner face à son cadavre...
À noter également la présence de Herman J. Mankiewicz pour les intertitres, frère de Joseph L. Mankiewicz (que le film influencera manifestement) et futur scénariste de « Citizen Kane » et « Le Magicien d'Oz ». Mais ça, c'est comme l'Oscar d'Emil Jannings : anecdotique, face à la qualité incroyable de ce métrage. Hypnotique.