Pour son dernier film avant sa mort, le réalisateur de Tous les Matins du monde et de Série Noire, habitué au polar, s’essaie au thriller psychologique. Crime d’amour se révèle en deux temps : le rapport trouble entre une businesswoman (Kristin Scott Thomas) et sa subordonné (Ludivine Sagnier), ennemies impliquées dans une guerre froide ; puis une enquête dans laquelle le spectateur a toujours une longueur d’avance et se plaît à observer la matérialisation d’un plan machiavélique ; et accessoirement, un prologue où la méchante novice à la fragilité de façade achève son absorption de sa cruelle adversaire.
La représentation du monde de l’entreprise comme une jungle aseptisée, dans la continuité de l’adaptation de Stupeurs et Tremblements de Nothomb, est l’aspect frappant du film, avec son duel de femmes. Sans aucun affect sinon une haine lointaine et un désir réciproque de domination, elles instrumentalisent la loi au service de leur avidité, maintiennent leurs existences épurées pour mieux étreindre et sentir leur puissance ; ce sont deux monstres froids, toujours liées par leurs besoins (leadership et contrôle), conscientes de cela au point de se donner des astuces entre un coup de poignard, une manipulation criante mais indémontrable et une humiliation publique.
Le seul amour qui soit dans le film, c’est celui du triomphe matériel, de la réussite limpide ; c’est lui qui stimule la haine et la concurrence entre ces deux reflets. L’intérêt du film dans sa seconde partie est aussi terrestre, moins intense ; Sagnier y orchestre son blanchissement après avoir provoqué son inculpation. Pour se débarrasser d’une menace, la précipiter afin de mieux la dompter en sourdine. A ce moment sur le plan technique, Corneau se montre indifférent aux méthodes policières courantes de son époque, pour imposer un polar psychanalytique, au but prévisible mais dont les ressorts et les motivations demeurent obscurs ou ambigus. Grâce à son intrigue alambiquée et ses caractères complexes, Crime d’amour donne au spectateur le plaisir d’un enquêteur égaré et la place du confident omniscient dans l’ombre.
Remake : Passion (De Palma)
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