S'introduisant sur la nuit d'amour en forêt de deux hippies, Cryptozoo pose dès son entrée en matière un premier aperçu de son propos en énonçant deux visions de la nature : l'une fascinée qui en émerveillant trop Matthew le mènera à sa perte en lui en faisant ignorer les dangers, l'autre effrayée finissant par provoquer chez Amber une rage destructrice incontrôlée.
Faisant suite à cette intelligente introduction, se dévoile la véritable histoire principale, celle de Lauren, une chasseuse de bêtes légendaires (les cryptides), travaillant pour un "sanctuaire" et s'opposant aux forces gouvernementales qui souhaitent transformer leurs pouvoirs en armes. Avec ce pitch digne d'un film pour enfant, on est alors en droit de craindre une fable écologiste manichéenne et convenue. Cryptozoo n'est selon moi pas de ce genre d'oeuvre, si l'on ne peut nier des antagonistes à la mentalité tout à fait monolithique dans la méchanceté, ce sont les protagonistes qui pourront éveiller des réflexions plus poussées chez le spectateur. Du sanctuaire aux allures de Disneyland mythologique à l'attitude souvent problématique de Lauren, qui ressemble plus à l'inspecteur Harry qu'à Louis la Brocante quand il s'agit de capturer les cryptides, cet envers du décor que nous découvrons en même temps que Phoebe - nouvelle membre du cryptozoo mais cryptide donc plus prédisposée à en apercevoir la face sombre - parait bien éloigné de l'eldorado progressiste qu'il prétend être. C'est de ces concessions avec la conscience que Cryptozoo va nous parler via ces activistes qui aveuglées par leur cause et le comportement scandaleux de leurs adversaires ne se rendent plus compte de leurs propres débordements - la palme revenant à la directrice qui, non contente d'avoir pour projet de s'enrichir en les exposant, n'hésite pas non plus à les domestiquer ou les utiliser pour sa satisfaction sexuelle. Cet écologisme de façade ne cache-t-il pas juste une entreprise à but lucratif ? Eviter à des êtres vivants le risque d'être capturés par les militaires pour les enfermer est-il réellement une bonne action ? Un grand risque peut-il vraiment justifier toutes ces actions ? Cette histoire de Cryptozoo ne serait-elle pas plus proche de l'exposition coloniale que du candidat sérieux au prix Nobel de la paix ? Le pragmatisme froid de Lauren affronte la vision engagée de Phoebe sur ces questions sans qu'en ressorte une bonne réponse mais finalement un effroi partagé pour cette situation, où les décisions prises semblent être celles aux conséquences moins dramatiques que les autres, plutôt que des actions réellement bienfaisantes.
Au delà de son intérêt thématique, Cryptozoo est aussi une expérience visuelle peu commune, via l'utilisation d'un style d'animation que l'on peut qualifier d'assez austère voire de parfois franchement laid, il invite une fois de plus à ne pas se formaliser trop vite et se laisser porter pour profiter de vraies réussites visuelles. Convoquant tour à tout l'art brut, l'art naïf et les esthétiques New Age, la direction artistique ne ressemble à rien de ce que l'on retrouve normalement dans un film d'animation, et globalement à rien de ce que le bon sens voudrait que l'on y trouve. Pourtant grâce à une créativité de tous les instants et à l'exploitation intelligente du bestiaire infini que lui procure son scénario, Cryptozoo nous emmène dans un voyage improbable, ponctué de transitions audacieuses et de coups de génie visuels dont l'aspect artisanal s'avère finalement plutôt plaisant tant il est original.
Cette folie visuelle culmine dans un final bordélique mais vraiment cool, sonnant le glas de cette utopie qui n'en était pas une, rappelant le danger qui guette quiconque se croit maître de la nature.
Original autant dans sa forme que dans le traitement de son sujet, Crytozoo est donc un film à conseiller à tous ceux qui n'ont pas peur de réfléchir un peu ni de regarder pendant 1h30 des dessins qu'on croirait faits par une secte de cinquantenaires sous LSD.