Curling décortique le quotidien de deux individus reclus en rase campagne québécoise, elle-même pétrifiée dans un éternel hiver. Même s'il se pique par instants de fièvres artificielles, le film n'en reste pas moins désespérément morne, en proie à un vide d'idées colossal qu'il ne cherche même pas à contourner, et qui finit par l'écraser d'ennui. Denis Côté a bien raison de refuser l'étiquette de nouveau cinéma québécois : il n'arrive pas à la cheville de ses figures de proue.
Noire sur blanc, une autoroute immensément rectiligne fend la bourrasque de décembre. Deux miniatures, comme de fragiles automates, marchent à son bord, droit dans la brume. Ils n'ont l'air d'aller nulle part ; ils vont, voilà tout, et avancent dans un silence troublé de hurlements venteux. Une voiture de police s'arrête à leur hauteur, des questions fusent : « Pourquoi ne pas avoir pris votre voiture ? Vous aimez ce froid qui arrache le visage ? » Ce premier plan cristallise l'essence de Curling : l'intrusion de la société dans ses marges, auprès de ces oubliés mutiques, spectres d'une terre ingrate.
Les états nordiques mais surtout Elle veut le chaos, précédents films de Denis Côté, abordaient déjà les thèmes entrecroisés de Curling : de grands espaces dévastés, des personnages discrets, aux vies précaires qui prennent la solitude pour loi. Jean-François et Julyvonne en héritent leur caractère distant, glacé, tous deux encastrés dans l'isolement. Dès lors, plus encore que la société, ce sont perpétuellement les autres qui remettent en cause la petite existence de ces personnages. Ces autres qui s'invitent, qui donnent des leçons, qui réclament des réponses. Ceux-là dont même la mort est un fardeau ; ceux-là qui préfèrent le collectif mensonger à la vérité crue, celle de l'abandon.
Mais la tare est de taille. Méthodiquement, le réalisateur prend soin d'abattre, tels des arbres maigres, tous les espoirs qui planaient sur son film. Lors de sa projection, Denis Côté dit aborder la déconnexion, l'espace intérieur ; le film évide ses personnages comme des fruits trop mûrs, archétypes mous d'une campagne mythifiée, depuis au bas mot trois siècles, comme lieu de vie saine et de bonheurs simples. Côté cite à nouveau au rang ses intentions la création d'un malaise, contraste à cet hiver acadien immaculé et paisible. Mal interprété, confit dans ce qu'il croit être des positions borderline-arty, Curling zone au ras-des-pâquerettes émotionnel. Tant et si bien qu'on finit par mépriser jusqu'à ses efforts démesurés pour créer le sentiment (i.e mise en scène putassière de l'illettrisme de Julyvonne). Toutes les inspirations que le film convoque sont autant de ratages à l'écran qui le crucifient dans l'ennui. Le vide intersidéral - d'idées, de talent, de rythme, de force - qu'il salive sur son passage arrache au public des soupirs désolés. D'énièmes pseudo-évènements, sucrettes jetées aux spectateurs, font semblant de nous intéresser : une intrigue de meurtre miteuse par-ci, une prostituée terne par-là. Les rarissimes instants de grâce de Curling (notamment la scène du tigre) n'entament pas l'impression finale d'un échec bouffi, hautain et peinturluré de fautes, comme une vieille femme fripée qui perfectionne sa moue.