Escale à la Nouvelle-Orléans ou n'importe quelle autre ville ou bled d'un état côtier du Sud des États-Unis ayant une façade sur le Golf du Mexique. Richard Bone est une sorte de gigolo à la petite semaine qui chaque soir lève une nana différente d'un simple claquement de doigt. Le mec a tout pour lui : beau gosse, yeux bleus, crinière blonde, assez secret... Ce mode de consommation de la chair féminine lui sied très bien. C'est un marin dans l'âme, il aime bourlinguer et passer de filles en filles. Mais un marin d'eau douce. Et à ce titre il a forcément son port d'attache à proximité de ses conquêtes. Le sien s'appelle Maureen Cutter mais le surnomme Mo'. C'est la femme de son meilleur ami/ennemi Alex Cutter, un vétéran du Vietnam revenu mutilé tant sur le plan physique (il a laissé un œil, un bras et une jambe dans l'histoire) que psychique (insociabilité, alcoolisme et bagarre depuis son retour, la totale quoi).
Un soir de biture et de baise comme les autres, alors qu'il est en chemin pour rentrer ce pieuter chez Mo' et Alex, ça voiture lui fait le coup de la panne au beau milieu d'une ruelle et l'oblige à rentrer à patte sous des trombes d'eau. Il y a bien une voiture qui aurait pu le prendre mais celle-ci ne fit qu'un bref arrêt avant de filer à toute berzingue. Le lendemain matin, alors que le camion des éboueurs traverse ladite ruelle, le corps d'une cheerleader est retrouvé sans vie dans une poubelle à quelques mètres de la voiture en rade de Rich. Logiquement interrogé par la police d'abord en tant que suspect puis en tant que témoin, il se résigne rapidement à ne pas pouvoir venir en aide aux inspecteurs et à leur donner un seul élément tangible pouvant les orienter sur l'identité de la personne présente ce soir là. Finalement, après plus de six heures d'interrogatoire avec comme apothéose une confrontation avec la sœur de la victime, Rich est libéré du commissariat au moment même où débute la parade de la ville. Et, alors qu'il regarde passer le cortège de musiciens, de cheerleaders et d'acrobates, la silhouette d'un homme monté portant de larges lunettes de soleil lui tape dans l’œil : c'est lui! L'homme de la veille dans la ruelle, c'était lui.... Mais lui c'est J.J. Cord, un magnat du pétrole et une forte personnalité de la communauté locale au-dessus de tout soupçons. Pas abattu pour autant, les deux amis d'enfance, très rapidement rejoins par la frangine de la victime (Val), entreprennent de faire chanter le puissant homme d'affaire pour le faire écrouer.
Tête de proue de la nouvelle vague tchécoslovaque avec son ami et confrère Milos Forman, Ivan Passer n'eut toutefois pas la même carrière que lui. Et pourtant, que son sixième film est bon. La galerie de portraits que nous présente le réalisateur n'a d'égale que la force du propos du film : la peur. Tout le monde dans ce film a peur et tout le monde, à l'exception des personnages féminins, semble s'y complaire. Les hommes du film, qui ne le sont pas encore tout à fait mais qui ressemblent d'avantage à de grands enfants auxquels il serait arrivé des choses dramatiques (la guerre, la mort, le deuil, la frustration, la haine), sont parmi les personnages les plus pathétiques que j'ai pu voir : Richard le tombeur effrayé par ses sentiments pour la femme de son pote et les démons de la responsabilité, Alex le mutilé du Vietnam blanc de peur à l'idée de revivre normalement et de voir en face le malheur de sa femme et son amour pour Rich, leur ami commun George, complètement paniqué à l'idée de perdre son emploi et ses amis et de les voir grandir plus vite que lui ou encore Cord, le tueur suposé, frustré par son âge et retranché dans son bureau à l'arrivée des deux zouaves... La "sagesse" est à chercher du côté des femmes. Elles sont trois et font la leçon aux hommes ces gamins : Maureen lutte quotidiennement dans l'espoir de voir revivre son mari mutilé tout en refoulant ses sentiments pour Richard auquel elle s'abandonnera finalement, Valérie Duran, la grande sœur de la cheerleader retrouvée morte, complètement délurée et va-t-en-guerre et enfin Mme Cord obligé de jouer les intermédiaires et les espions pour le compte de son milliardaire de mari.
Cette peur, ces grands enfants vont la cristalliser autour d'un ennemi commun ô combien plus puissant et redoutable que les petites frappes avec lesquelles ils avaient l'habitude de s'encanailler. Et l'instant d'une ultime séquence dans la propriété fastueuse du ponte de l'industrie pétrolière, Passer se sent pousser les ailes et les aspirations d'un Cervantès : si Cutter est Don Quichotte et Richard son écuyer Sancho Panza, la charge à cheval finale du premier contre Cord rappelle celle du seigneur de La Mancha contre ses moulins à vent, ses ennemis imbattables, ses ennemis imaginaires... A moins que.... La mise en scène de Passer est aussi brillante que son propos est fort. Il interroge la nature de la peur (simple moment de faiblesse ou génial instant de lucidité?) et la capacité de l'homme a s'y complaire et à refouler sa culpabilité (Alex à Richard : I watched the war on TV like everybody else. Thought the same damn things. You know what you thought when you saw a picture of a young woman with a baby lying face down in a dictch, two gooks. You had three reactions, Rich, same as everybody else. The first one was real easy: 'I hate the United States of America'. Yeah. You see the same damn thing the next day and you move up a notch. 'There is no God'. But you know what you finally say, what everybody finally says, no matter what? 'I'm hungry.'). Les interprétations sont toutes parfaites et en particulier celle de Lisa Eichhorn, étonnante de fragilité et de nuance (je ne comprends pas qu'elle n'ait pas percé dans un certain cinéma). Et un constat s'impose à moi : entre The Last Picture Show de Boganovich en 1971, Fat City de Huston l'année suivante, les deux Cimino (Thunderbolt and Lightfoot en 1974 et Heaven's Gate en 1980) et enfin Cutter's way, Bridges a su drôlement bien maner sa barque et se placer dans certains des plus beaux films des années 70 et 80.
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