♫ Santa Barbara, tu leur diras pourquoi, j’ai du mal à vivre…♫
Cutter’s way commence comme un soap : un minet, Bone, qui a tout du gigolo et cherchant à vendre grâce à son mat un bateau à une cougar mariée de Santa Barbara.
Dans ce royaume ensoleillé du fric, des marinas et des villas avec piscine, le thriller s’annonce feutré et cossu.
Il n’en sera évidemment rien, et c’est là la première d’une longue série de singularités intelligentes du film. Cutter est le ver dans le fruit de cet univers dont on va rapidement mesurer les terres obscures. Vétéran mutilé du Viet Nam, il importe à domicile le champ de ruine qu’il a traversé : l’alcool, la baise, l’infirmité, la violence et les insultes. Sa femme s’éteint à petit feu à sa suite, dans les effluves de la bouteille, tandis que leur ami commun, Bone, brille par son incapacité à réellement agir : tout au plus peut-il éteindre les incendies à la suite du passage de son comparse, et lui servir de béquille.
Greffer sur ce terrain miné une intrigue conventionnelle de thriller pourrait le faire reprendre les sages rails du polar du dimanche soir.
C’est sans compter sur le programme du titre : Bone a été le témoin sans le savoir d’un lâcher de cadavre de majorette dans une poubelle, pied de nez morbide à la parade urbaine à venir, mais c’est Cutter qui va prendre les choses en main.
Cutter crache à la gueule d’une Amérique qui veut tout sauf l’écouter et se serait bien contentée d’une stèle silencieuse à honorer une fois l’an. Ce qui le motive est un désir de vengeance, contre le système, les nantis, contre la ville entière et ses élites en particulier. L’intérêt profond de l’intrigue policière est là : la motivation de son enquêteur, totalement subjective, paranoïaque et voulant en découdre. L’intelligence suprême est de nous mettre du côté de Bone : passif, indécis, tiède, nous ne savons jamais, comme lui, dans quelle mesure les délires teigneux de l’infirme pourraient flirter avec la vérité.
Loin d’être un trajet vers la lumière, l’avancée n’est qu’un enlisement sous le regard embué de Mo, la passante qu’on avait cru pouvoir faire sortir la tête de l’eau aux chiens fous qui l’entourent. Dans ce monde dévasté, ne restent que quelques petits copeaux de bonheurs, parenthèses intimes où les cœurs se retrouvent avant d’être réduits en cendres.
Fondé sur les contrastes, brillamment interprété, Cutter’s way est un film torturé qui gratte jusqu’au sang le vernis d’une Amérique clinquante et d’un cinéma formaté pour y laisser suppurer les plaies qu’elle s’acharne à couvrir.
Une réussite.
Merci à guyness pour la découverte !