Au revoir bulle délicate, bonjour cinéma-réalité

Première minute : focus sur Cyclo, un garçon, un ado, un coursier à vélo.
Son quotidien ? Pédaler, pédaler, pédaler.


Avec CYCLO, finie la quiétude de la maison pavillonnaire, place à l'immensité géographique et démographique d'Ho Chi Minh-Ville. La bulle surannée et intemporelle des 50's embraye vers un obsolète présent (celui des 90's). Exit le tournage en studio parisien de L'odeur de la papaye verte, voici les prises de vues presque exclusivement en extérieurs. Adios les histoires de gonzesses, CYCLO sera un film de bonhommes. Le confinement à l'intime d'une famille se voit muer en un portrait sociétal inédit (pour nous). La belle sensibilité de l'auteur qui se distillait tout au long des 1H44 de L'odeur de la papaye verte se voit ici confinée à quelques fulgurances poétiques. Enfin, au revoir la lenteur hypnotique et enivrante du film précédent; ici le montage et le dynamisme de l'image (toujours l’extraordinaire Benoit Delhomme à la photo) renvoient à un cinéma de l'urgence -


Pour nous qui avions tant aimé La papaye., le désenchantement est immédiat : quasiment rien de ce qui faisait la saveur de celui-ci n'est présent !!! ... ... ... Et c'est tant mieux;
CYCLO est sans doute plus balisé et moins sensible, mais tout aussi captivant. Il nous prouve que nous sommes en face d'un réalisateur à suivre.


PHOTO : Cyclo sur son vélo haha


Le Vietnam dépeint dans CYCLO est extrêmement exotique, tant humainement que socialement ou culturellement. Si c'est quelque part assez plaisant d'y perdre ses repères, Tran Anh Hung nous ménage toutefois deux portes d'entrée :
- La forme du cinéma-réalité, qui a cela de bon qu'elle permet par l'ultra-immersion, d'accepter totalement le quotidien de personnages, malgré un évident et fascinant choc culturel.
- l'inscription du film dans le genre polar, synonyme d'accessibilité envers l'univers du film ou la complexité des personnages, par l'utilisation de codes universels de récit.
C'est ainsi que les 20 premières minutes du film serviront, assez classiquement, à installer des personnages dans une routine, un quotidien, une réalité indéniable.



"Tran Anh Hung troque dans Cyclo, la précision et la sensibilité de l'Odeur de la Papaye Verte contre un cinéma social et ultra-immersif. Et c'est tant mieux !"



Cette routine sert dans un premier temps à dépeindre par le détail et l'empathie, des personnages hermétiques. Autour de Cyclo : Sister (interprétée par Tran Nu Khen Ye l'actrice fétiche de Tran Anh Hung), une jeune étudiante naviguant entre la fac et une vie professionnelle plus ou moins légale et morale; la charismatique Madam, boss du gang local (et accessoirement maman d'un fils handicapé). Enfin, il y a le personnage quasi-muet de Tony Leung, Poète. Chacun de ces personnages est un bienfaiteur et un persécuteur pour les autres, et notamment pour Cyclo... Et Cyclo grâce à eux tous, passera d'observateur distant, à personnage actif physiquement, émotionnellement, et psychologiquement (comme Mai dans La papaye). Leurs interactions dressent ainsi un portrait affectif, humain, criminel et social du Vietnam urbain.


Installer une routine autorise également à préparer l'inévitable déraillement du récit - celui qui fera basculer la chronique sociale dans le cinéma de genre. Tout part d'un vulgaire vol de vélo. Un acte sans doute commun dans une ville comme Ho Chi Minh, mais crucial pour Cyclo. Cet acte amorcera pourtant l'escalade de différentes formes de violence et d'exploitation de l'autre, commune à tous les personnages. Physique, sociale, sexuelle, affective, et enfin psychologique.


PHOTO : Cyclo devient badass


Ce monde gangstéreux s'est ainsi construit sur une sorte de cycle intergénérationnel de la pauvreté, immuable et tragique. Chacun des protagonistes, mais également des personnages secondaires (le grand père et les petits frères de cyclo, quelques putes et sous-fifres, un tortionnaire, le fils de Madam...) alimente ce cercle vicieux. Le film explorera ainsi à travers les interactions entre des personnages précipités malgré eux dans une spirale infernale, les exutoires (im)possibles à cette condition sociale.


Tran Anh Hung n'est clairement pas le premier à essayer d'hybrider cinéma de genre et fiction documentaire, mais il est peut-être l'un des seuls à oser faire débouler au cœur du récit, des moments en apesanteur. Un véritable concentré de sa sensibilité délicate, permettant de rendre plus sensorielle une description, somme-toute, assez brute du Vietnam.


PHOTOS : Quelques fulgurances visuelles pas si gratuites, dans CYCLO


Puis, nourri par tous ces éléments, CYCLO se conclura de façon assez paroxystique et paradoxale;
Tran Anh Hung y évacuera le cachet-réalité jusque là majoritairement présent, pour plonger amplement dans cette dimension esthético-symbolique uniquement évoquée au détour de quelques fulgurances; il emmène via cette ambiance l'intrigue polardeuse à son terme, en propulsant ses protagonistes dans une ingérable hyper-sensibilité causée par une fantastique exposition de leurs blessures intimes. CYCLO embrasse ainsi pleinement sa portée tragique, en observant ses personnages courir à leur perte ou renforcer leur vision pessimiste du monde.


Une conclusion sombre mais, une nouvelle fois après L'odeur de la Papaye Verte, portée de A à Z par une réalisation intelligente sachant fusionner technique, sensibilité, poésie et écriture. Tran Anh Hung paraissait brouiller les pistes mais au final, ne fait que prolonger sous une forme plus dynamique et sociale, toutes les qualités de son précédent film. Passionnant.


critique par Georgeslechameau, pour Le Blog du Cinéma

LeBlogDuCinéma
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le 27 juin 2016

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