Unchain my Daft !

En tant que fan de la première heure des Daft Punk ce documentaire était incontournable pour véritablement une raison : découvrir des archives inédites (ce qu’il promettait il me semble), car il faut dire qu’entre les vidéos YouTube ou diverses émissions dépoussiérées dernièrement par Arte on avait à peu près tout vu du groupe, du moins sans leur fameux attirail robotique. Et c’est bien là le point décevant car il ne faut pas se leurrer, celui qui s’intéresse vraiment aux Daft n’apprendra quasiment rien de neuf, voir rien du tout, disons qu’il est davantage question ici d’un documentaire utile pour ceux qui résument les deux frenchies à des gugusses casqués ayant fait bouger leur popotin sur Get Lucky.

Il faut avouer que Daft Punk Unchained est un projet honnête avec tout de même beaucoup de sources, Bangalter et Homem-Christo ont donné leur accord pour sa réalisation et le casting d’intervenants est plutôt prestigieux (Nile Rodgers, Pharrell Williams, Leiji Matsumoto, Giorgio Moroder, Kanye West, …), le but est vraiment de retracer leur parcours des premières petites scènes au début des années 90 jusqu’à leur consécration ultime aux Grammy Awards de 2014. Il n’est pas question ici de s’attarder sur une phase de leur carrière en particulier mais bien de s’intéresser à leur évolution musicale, artistique et marketing en moins de 1h30, chose difficile, mais objectivement je trouve le résultat plutôt réussi pour ce type de format, bien que certains aspects un peu contradictoires et "auto-congrats" soient passablement dérangeants. Le réalisateur Hervé Martin-Delpierre tente de démasquer subtilement les deux artistes en leur donnant un certain crédit d’honnêteté conceptuelle, ce qui est bien car il est souvent de bon ton de taper sur les DJ et le sampling, ce phénomène culturel des années 80 ayant donc été révolutionné au milieu des nineties par ces "punks idiots". Évidemment tout ce mouvement est survolé, et c’est bien dommage car c’est ici qu’il fallait appuyer prioritairement je pense (même si il est facile de trouver divers docs intéressants et pertinents sur le sujet, par exemple celui ci : La French Touch (1997)), enfin je comprends tout à fait le dilemme pour construire une trame évolutive, cependant le chapitre Homework qui est l’acte fondateur du groupe n’est pas forcément approfondi comme il aurait dû l’être, contrairement à celui de Random Access Memories, irritant.

Tous ces documents d’archives vidéos et audio en plus des narrations de personnes du milieu (notamment Pedro Winter, leur ancien manager) fonctionnent bien, Daft Punk Unchained est plaisant à regarder, seulement l’intervention de quelques personnalités comme Pharrell Williams et Kanye West semblent franchement inutiles et transparaissent dans une sorte de sur-exagération du propos du processus créatif (genre Pharrell sort à un moment "vous ne pouvez pas imaginer ce que c’est de travailler avec des robots" c’est un poil lunaire non ? en plus d’être finement narcissique …). Plutôt que d’en faire des caisses j’aurais préféré que ces gars là nous racontent par exemple leur première rencontre et comment ils ont gardé des liens avec les Daft, rester dans la simplicité, là on dirait que tout ce petit monde veut élever le duo versaillais au rang de dieux vivants, ce sont certes des artistes exceptionnels qui ont bouleversé l’histoire de la musique mais diantre gardons les pieds sur terre deux minutes. Et puis tout ce cinéma anti-consumériste met mal à l’aise dans la bouche de ce cher Kanye, d’ailleurs le documentaire ne prend pas position pour taquiner le groupe concernant leur participation à la fondation de Tidal, la stream arnaque de Jay Z, ceux qui ne voulaient pas monter dans une limousine de Virgin US pour négocier des contrats à 6 chiffres de l’heure à Coachella, une sacré perche pour les détracteurs. Les choses étant à remettre dans leur contexte évidemment.

Bon après il y a des passages très instructifs comme la création des casques dans l’atelier de Tony Gardner et surtout de comment l’idée du concept robot est partie et mise en œuvre pile en 2000, on voit comment l’entreprise Daft Punk a réussie à lier révolution musicale et édification du mythe culturel, cette notion de laisser insuffler tout un imaginaire autour de deux entités silencieuses, c’est tout de même fascinant. Les parties live sont impressionnantes et montrent à quel point cette gestion du mystère a réussie à porter ses fruits malgré un Human After All ayant déçu certains fans et critiques presse, toujours rester en haut de la pyramide, même dans l’absence. Souvent imité, jamais égalé, et Skrillex peut en témoigner oui, lui qui s’est tant inspiré de cette fameuse représentation à Coachella semble (si je ne me trompe pas) plus dans le creux de la vague qu’au top, dans cette époque de notoriété éphémère les robots font figure d’exemple d’une certaine intemporalité artistique, arrivant d’ailleurs à se renouveler et à ne jamais se trouver là où on les attends, c’est leur principale force, bien qu’elle ne soit pas au goût de tout le monde, logique et symptomatique d’une époque de transparence. Mais c’est intéressant d’admirer toutes les idées rétros que les Daft ont eu pour la com de RAM comme par exemple les panneaux promotionnels 70s au bord des autoroutes de Los Angeles ou cet esthétisme référencé pour chacune de leurs dernières apparitions (dont tout le monde se souvient). Ça reste cool.

Pour conclure je dirais que ce Daft Punk Unchained est un documentaire correct, ouvert à tous, évidemment les fans hardcore perdront leur temps et personnellement je trouve quelques traitements maladroits mais le but premier de Hervé Martin-Delpierre consistant à retracer l’histoire du groupe en donnant un max d’infos en 90 minutes chrono BBC est réussi. J’aurais tout de même vraiment apprécié en savoir plus sur certains points, notamment les projets parallèles de Bangalter comme l’inoubliable one-shot Stardust, que le doc ne minimise pas Homework ou découvrir des images de coulisses inédites, mais voilà tant pis, en même temps vu comment le truc a été survendu par Canal + il ne fallait pas forcément s’attendre à un truc de fou.