Quatorzième opus de la franchise officielle James Bond, troisième réalisé par John Glen et dernier à mettre en vedette Roger Moore, Dangereusement vôtre se pose comme le meilleur de l’ère Moore avec L’Espion qui m’aimait (1977) de Lewis Gilbert.
Pourtant rien d’extraordinaire dans cet opus de 1985, peu de scènes d’action, des longueurs importantes et un Roger Moore plus vraiment crédible en 007 vieillissant. L’acteur l’avouera d’ailleurs en parlant de sa partenaire dont il réalise, en cours de tournage, que la mère de celle-ci est plus jeune que lui : « Bon sang, cette actrice aurait pu être ma petite-fille. Cela devenait dégoûtant. Un vieux pervers. » (T’inquiète Roger, aux dernières infos, d'autres acteurs-stars n’ont pas eu tes scrupules).
Qu’est-ce qui fait de ce James Bond un bon cru, alors ?
La musique de John Barry, retravaillant le thème de Monty Norman pour en donner une variation sympa, la chanson-titre A view to a kill de Duran Duran, très 80’s et parmi les meilleurs morceaux d’ouverture, deux trois scènes de poursuites, un Patrick Macnee truculent en subordonné flegmatique, une James Bond girl aussi redoutable que mémorable puisqu’incarnée par la fougueuse Grace Jones, et surtout, surtout, un putain de bon méchant.
Tout juste sorti de Brainstorm et de Dead Zone, Christopher Walken incarnait avec son talent habituel un antagoniste devenu parmi les plus mythiques de la saga, l’industriel français Max Zorin. Un personnage de psychopathe dont l’ambition ne s’éloigne pas trop des sempiternels mégalomanes qui l’ont précédé. À ceci près que ses origines, tout juste esquissées dans le film (et bien plus explicitées dans la nouvelle originale) en font une sorte de monstre de laboratoire à visage humain. Issu d’un programme génétique développé par un ancien nazi, Max Zorin est le résultat de l’ambition de son pygmalion, créer un aryen pure souche. Récupéré par les soviétiques durant la guerre froide (d’où l’apparition du général Gogol, vieil ennemi de 007) mais suffisamment sûr de lui pour prendre son indépendance et régner sur son propre empire, Zorin ambitionne de détruire la Silicon Valley afin de porter un coup économique aux États-Unis et s’enrichir sur la crise qui s’ensuivra. Charismatique en diable, charmeur et manipulateur sans scrupules (voir comme Zorin manipule et trahit May Day), et conférant à son personnage une folie jusqu’à le faire s’esclaffer de rire avant son trépas, Walken imposait là un des meilleurs bad guys de la franchise 007 ainsi que des productions du même genre des années 80. Le mangaka Naoki Urasawa s’en souviendra lorsqu’il reprendra l’idée du monstre aryen conditionné par des scientifiques sans scrupules dans son célèbre manga, Monster. À coup sûr, Max Zorin est la principale inspiration du personnage de Johan Liebert.
Ponctué de quelques beaux morceaux de cruauté (l’éjection de l’associé réticent hors du dirigeable, l’espion balancé dans l’hélice, le meurtre de Godfrey dans la station de lavage, le méchant et son sbire fusillant en riant les ouvriers de la mine) et agrémenté de l’humour coutumier de Roger Moore, le film aligne quelques petites scènes d’action (la poursuite à skis de l’ouverture, la fuite sur la Tour Eiffel, la course-poursuite en Renault 11, l’immeuble incendié, la mine inondée) et s’achemine vers un final mythique confrontant Zorin à Bond, au sommet du Golden Gate Bridge, de loin la meilleure scène du film.
Incarnant l’espion depuis 1973 et sept films, Moore quittera donc le rôle de James Bond sur un bon opus, parfaitement conscient qu’il ne pouvait plus continuer mais touchant un beau cachet au passage. Il faut dire que l’acteur, fervent militant contre les armes à feu (il n’abat d’ailleurs personne dans le film, contrairement aux précédents opus) ne goutait plus du tout la violence de la saga. Toujours tout en auto-dérision délicieuse, Moore ironisera plus tard sur son travail dans le rôle de Bond, dans lequel il ne s’est jamais vraiment trouvé crédible à l’aune de l’aura de son prédécesseur, Sean Connery, et de celle de ses successeurs : « J’ai compté trois expressions pour mon personnage : sourcil gauche levé, sourcil droit levé, les deux sourcils levés. On dit toujours que je suis le seul acteur des sourcils, ce qui est vrai. Je ne le fais pas tellement ces jours-ci. Je trouve que la gravité alourdit les choses et c’est beaucoup plus difficile. »
Jamais avare en bons mots, le mythique interprète des séries Le Saint et Amicalement vôtre ne tarira jamais d’éloge sur les autres acteurs ayant incarnés Bond, à croire qu’il se considérait volontiers comme le pire. Ce serait cependant injuste d’oublier qu’il conféra au personnage un charme, une malice et une auto-dérision bienvenus qui permirent à la franchise de perdurer durant les années 70 et 80. Moore tint l’affiche de certains des opus les plus cultes parmi lesquels il affronta Requin, Scaramanga, et tua même Blofeld. Et Dangereusement vôtre en reste une des meilleures preuves.