Jamais je n’aurais imaginé qu’un film sur la genèse d’une des œuvres de Disney qui m’a le plus enchanté, puisse être lui-même aussi passionnant et plein de cette magie propre à ma nurse préférée. Tout était à craindre, en particulier le risque d’un film narrant des considérations techniques, scénaristiques et logistiques et assassinant dans l’imaginaire collectif cette bonne fée de Mary Poppins. Oui mais non, car si le film aborde bien ces sujets, c’est pour n’en montrer que la magie créatrice de l’esprit humain, celui des frères Sherman et de leurs mélodies inoubliables et surtout, celui de Pamela Travers, auteure de Mary Poppins et qui livre ici toutes les clés de compréhension de son histoire dont il faut bien le reconnaitre, j’étais très loin.
Le film commence sur un petit pied à Disney qui, à l’heure où se déroule le film, rame comme un galérien depuis vingt ans pour convaincre Pamela de lui céder les droits. Elle, méfiante de tout ce que touche Disney et effrayée qu’il dénature son héroïne, refuse catégoriquement jusqu’à ce que son agent, à l’usure, parvienne à la convaincre d’accepter un petit voyage vers Los Angeles pour y rencontrer Disney et peut-être, commencer à travailler sur le projet de film. Pamela se montre vite désagréable, confrontant les manières britanniques raffinées aux habitudes rustaudes des U.S.A. Elle dénigre tout le travail fait, ne veut pas de chansons, ne veut pas de rouge dans le film, ne veut pas d’animation bref, elle est pénible et Disney qui tient au projet (vingt ans qu’il attend), lui passe tous ses caprices faute de pouvoir faire autre chose.
Seulement il y a plus que cette misanthropie d’apparence, plus que ce côté revêche que Pamela se plait à étaler, il y a aussi son enfance pleine de rêves brisés et piétinés, d’illusions perdues d’une petite fille qui était folle amoureuse de son papa. Un papa qui de son côté était fou de sa princesse mais avait un faible pour la bouteille. Si les histoires qu’il racontait faisaient rêver sa fille, la bouteille était tout ce qu’il y a de plus terre à terre. L’histoire de Mary Poppins livre alors tous ses secrets, ceux de l’auteure lorsqu’elle était enfant : ses peurs, ses espoirs et surtout ses rêves qu’une rassurante magicienne vienne, d’un coup de baguette, sauver ce papa qu’elle aime tant et qui lui ne semble pas s’aimer assez. Ceux qui verront Saving Mr Banks ne verront plus jamais Mary Poppins du même œil, si l’œuvre de Disney était déjà profonde, elle gagnera en densité.
Si John Lee Hancock n’apparait pas encore comme un successeur de ScorSese, il se montre capable de maitriser un film à enjeux et pour lequel le public a des attentes. Sa mise en scène n’a rien de flamboyant et utilise des transitions parfois grossières, mais le résultat est vraiment bon et surtout, les flashbacks permanents sont maitrisés et le dernier d’entre eux, superposition du présent et du passé est juste magistral et fait monter les larmes d’émotions. Tom Hanks et Emma Thompson, en grands professionnels sont juste excellents. Tom Hanks, à l’aise en Disney prêt à tout pour avoir ce qu’il veut et parfois au bord de l’implosion. Juste un détail, les maquilleurs lui ont fait une tête pas possible, comme s'ils lui avaient rapproché les yeux tout en les lui étirant, ce qui provoque comme un malaise, c'est laid quoi ! Face à lui une Emma Thompson grand cru, odieuse et sèche comme un coup de tric, sa métamorphose au cours du film n’en est que plus marquante..Quant à la musique, aucun mérite pour Newman puisqu’il réarrange la plupart du temps les airs des frères Sherman, ce qui n’enlève rien au plaisir de les entendre.
C’était une vraie belle surprise en somme, un film qu’on n’attend pas dans un registre aussi peu terre à terre, un film dont on ne pensait qu’il nous en révèle autant sur la naissance d’une héroïne et sur la violence d’une enfance. Tom Hanks s’installe définitivement comme un acteur de légende capable d’absolument tout et Emma Thompson prouve qu’une actrice aussi peut tirer parti du temps qui passe. Reste une époque rêvée où même les grands films se créaient de manière presque artisanale, où la méthode de travail plébiscitée était le brainstorming bref, lorsque le cinéma était une histoire d’amour avant d’être une question d’argent.
P.S.: ne zappez pas le générique, il contient une petite pépite...