Aborder la folie, c’est progresser sur un terrain instable : la question du genre se pose irrémédiablement (thriller ? épouvante ? surnaturel ?) et influe sur le traitement, notamment par le choix structurant du point de vue.
Gilles Marchand propose ici celui de l’enfant. Difficile, bien entendu, de ne pas penser à Shinning, tant cette incursion dans des lieux reculés et hors d’atteinte, cette initiation à des pouvoirs para-psychiques, ce rapport à un père qui perd le contrôle et jusqu’à la coupe du jeune comédien (Thimothé Von Dorp, très impressionnant) semblent y faire référence.
La comparaison, écrasante, s’arrêtera cependant là. Dans la forêt joue certes une partition assez familière, - et cède à la facilité sur quelques ressorts, notamment dans son exposition et son recours à une musique assez poussive, mais prend soin de ne pas trop s’y embourber.
Alors que sa première partie joue de tous les clichés inhérents au genre (apparition horrifique récurrente, mauvaises blagues du grand frère et comportement de plus en plus angoissant du père), c’est le dernier tiers qui va véritablement permettre de larguer les amarres.
La poétique inquiétante des lieux y est pour beaucoup : la frondaison des forêts suédoises (dans certains plans qui rappellent furieusement ceux, récurrents, de Twin Peaks), les lacs et les sous-bois superbement photographiés par Jeanne Lapoirie brillent d’une intensité vibratile propre à éveiller les sens. Le visage assez incroyable du jeune Tom offre un regard opaque et mutique sur cette course absurde durant laquelle son père, tel un Sisyphe, charrie un bateau sur des morceaux de terre pour atteindre des bras d’eau dénués de direction.
Tout repose donc sur ce silence : celui d’une nature trop vaste et potentiellement hostile en dépit de sa grande beauté, celui d’un enfant qui laisse libre au cours au père se laissant dériver aux rivages de la folie. Au spectateur de maintenir un cap, de se positionner par rapport aux incursions du surnaturel et d’embarquer ou non dans sur ce rafiot instable.
La résolution, si tant est qu’on puisse la qualifier de telle, est en cela assez réjouissante. Connaitre le démon, pour l’enfant, c’est, par empathie d’abord non consentie avec les angoisses débordantes d’un père insomniaque, fusionner avec ses cauchemars. La très belle procession finale dans la forêt nocturne procède ainsi d’une complicité nouvelle, muette, presque panthéiste, durant laquelle l’enfant va pouvoir s’émanciper avec une certaine sérénité, ayant eu le courage d’appréhender le monstre, le père, l’aliéné, les yeux dans les yeux, main dans la main.
Alors que la dynamique d’un film d’épouvante (terme ici un peu excessif, mais le récit en adopte bien des codes) repose généralement sur des promesses qui s’essoufflent, c’est donc l’inverse qui se produit ici. L’épilogue aura beau proposer quelques ébauches d’un retour à la civilisation et l’ordre établi, le spectateur restera encore un bon moment sur les sols mouvants des mousses luxuriantes, perdu parmi les troncs, dans la forêt.