Dans la gueule du loup, ou plus sobrement The Mob en version originale, pourrait très bien correspondre à un des archétypes du film noir, avec son détective en immersion dans le milieu de la pègre. À un détail près : si la violence, les doubles jeux et les coups tordus sont omniprésents, l'atmosphère ne correspond pas aux canons de fatalité imposés par le genre. Mais c'est bien la seule chose qui invite à prendre des précautions quant à la classification, car Broderick Crawford est la figure-type du détective, présentée de manière très appréciable dans cette introduction nocturne et pluvieuse dans laquelle il sera floué en beauté par un truand — dont on ne verra jamais le visage, soit par les jeux d'ombre, soit par le cadre. Le découpage de cette séquence est très propre, très sombre, très simple, très sobre. Sous ses yeux dupés, alors qu'il pense avoir affaire à un officier de police ayant abattu un dangereux criminel, il vient en réalité d'assister à l'exécution d'un témoin gênant pour la pègre locale qui devait participer à un procès contre la corruption dans les docks du coin.
Plutôt que d'être limogé par ses supérieurs pour avoir laissé filer le suspect, ratage monumental en matière d'arrestation, une décision originale sera à l'origine de toute l'intrigue du film. Comme punition, il sera envoyé en mission d'infiltration dans ce milieu après qu'une fausse photo de lui-même, soi-disant mis à pied, a été diffusée à dessein dans les journaux. Un voyage au sein de la mafia un peu maladroit dans son amorçage, lorsque Crawford joue aux gros durs pour être rapidement mis en contact avec la crapule du coin. Mais un voyage très agréable par la suite car il dépeint un univers où flics et criminels sont tout autant durs et où les infiltrés pullulent des deux côtés, brouillant allègrement les frontières.
Le postulat de base sur le monde rude des dockers est assez proche de celui formulé par Kazan dans Sur les quais, mais dans un tout autre registre. Ernest Borgnine campe un malfrat naturel et sinistre, remarqué au milieu de la faune locale, et le détective infiltré devra remontrer jusqu'au donneur d'ordre dans ce marécage de corruptions en tous genres. Non sans une certaine surprise, le récit révèlera une petite particularité au sujet d'un enquêteur pour une assurance, lui aussi infiltré, et une mission qui sera confiée au protagoniste par les mafieux : on lui demande d'assassiner ce fameux flic qui avait vu l'assassin, le seul témoin de l'affaire, c'est-à-dire... lui-même. Quelques interrogatoires musclés et une course-poursuite à base de liquide fluorescent (délicatement désuète) viennent ajouter un peu de piquant.
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