" Elle ne voulait plus imiter, elle voulait vivre "

Une avant-première parisienne, un soir, et cette phrase "Fabrice Luchini n'a pas pu venir, il a eu un contre-temps" et dès lors devant la sourde acclamation de la salle on se pose une question: Luchini, c'est qui ? C'est un peu l'homme des contre-temps, celui qui fait durer plus longtemps un journal quand il en est l'invité, celui qui n'a pas encore totalement choisit son camp politique (il le dit lui même). Luchini, et c'est souligné ici, c'est l'homme qui compte dans sa vie autant de comédies que de films d'auteur. Et, ce film, entre dans cette catégorie d'entre-deux : on rit mais on est mal à l'aise.


Le malaise nait complètement de la volonté du réalisateur qui a voulu, de ses mots, faire un film sur la manipulation. Manipulation de l'image de Luchini, intellectuel des mots (qui se fait assommer par son livre fétiche "Voyage au bout de la nuit"), manipulation du professeur, amené dans ses retranchements, personnage, malgré lui, d'une fiction bien réelle. Manipulation du spectateur qui se trouve tantôt dans la maison, tantôt dans la classe. C'est un film bien mené, au scénario quasi sans fausses notes.


Ozon (l'hyper-réalisateur de "8 femmes") invente un cinéma français qui fait frissonner sans avoir besoin de miles effets spéciaux. L'écrivain suffit à mettre mal à l'aise. Réflexion sur le choix d'un personnage également "pourquoi lui", le générique l'illustre avec brio. C'est un film où l'on ne s'ennuie jamais qui traite avec un peu d'humour ces acteurs que l'on a l'habitude de voir sur nos écrans, Lucchini, Kristin Scott Thomas en directrice de galerie contemporaine est délicieuse et Yolande Moreau en jumelle est terrible, et les confrontent à de jeunes acteurs, premier film, qui tiennent de bout en bout leur rôle avec force et conviction. Mention spéciale à l'élève-écrivain dont le regard de désir ne s'oublie pas de si tôt.


Il faut écrire sur ses personnages, les faire évoluer sans préjugés, au coeur même de leur vie et c'est avec force et originalité qu'Ozon illustre cette idée, la fiction est partout, nous en avons besoin même si pour cela il faut entrer chez le voisin. A l'heure où nos télé-réalités vont de plus en plus loin dans leur délire, la question même du divertissement se pose. L'écrivain, ici, doit se réinventer chaque fois et donner à son sujet un monde de surprises et d'émancipation. Ce n'est pas un bildungsroman qu'écrit Claude mais un roman qui fait éclater les faux-semblants: ceux des couples pas si heureux que ça, les désirs inassouvis des uns et les fins des autres. Déstabilisant à souhait, le film est un tournant permanent, on va toujours plus loin et plus on y va, plus on veut y aller, jusqu'au point de non retour. Point désiré parce que mener mais point qui nous échappe. En voulant tout maîtriser, Germain s'échappe à lui-même.


Un formidable duo d'acteurs prof-élève et soulignons aussi qu'esthétiquement le film est très beau, se réinventant à chaque plan (la manipulation se fait aussi par l'image, surtout par elle) pour un film qui hante longtemps nos mémoire. Renversant !

eloch

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