On ne peut dénier au cinéaste François Ozon le mérite du renouvellement qui, après tout, n’est pas si répandu chez les créateurs d’art. Après la comédie endiablée Potiche, qui s’inscrivait dans la droite ligne de Huit Femmes, il revient avec un film ambitieux sur les mécanismes de la création, la frontière entre réalité et fiction – frontière de plus en plus poreuse aujourd’hui dans la production cinématographique, phénomène qui sème le trouble et la confusion chez un spectateur égaré. Grand principe du septième art, la manipulation est au cœur de Dans la maison, à la fois dans les relations inhabituelles qui rapprochent Germain, un prof de français désabusé et légèrement aigri, marié à Jeanne qui s’occupe d’une galerie d’art contemporain, et Claude, élève étrange doué pour l’écriture, provoquant du coup l’enthousiasme de son pédagogue, et dans la construction du récit menée avec brio par un metteur en scène qui nous mène, à notre plus grand plaisir, par le bout du nez. Pour que toute opération de manipulation puisse fonctionner, il faut bien sûr obtenir l’accord tacite du manipulé et dans ces jeux pervers de duplicité, il n’est jamais tout à fait certain que les rôles ne s’inversent pas. Jeux dangereux dès lors qu’ils empiètent sur la vie privée, sur la déontologie supposée d’un enseignant, sur la confusion plus ou moins consentie entre vrai et faux, pour peu qu’elle participe à l’éclosion d’un génie des lettres en herbe. Dans la maison se révèle une œuvre extrêmement foisonnante, abordant des thèmes multiples. Où un auteur puise-t-il son inspiration, quelle est sa capacité d’imagination, n’est-il après tout qu’un fin observateur des comportements de ses proches qu’il saura transposer sur différents modes (ironie, distanciation ou compassion) par le biais de sa propre langue ? Le film dresse également des passerelles entre différentes disciplines, particulièrement dans le périmètre de la galerie d’art, lieu idéal du détournement des objets et des formes, mais il rend surtout hommage à la puissance d’évocation de la littérature – constat sans doute inattendu et guère évident de la part d’un homme d’images. En substance, quelles sont les limites de la création, autorise-t-elle à tout se permettre, à pénétrer au cœur d’une maison fantasmée et convoitée dont le jeune élève confesse qu’on parvient toujours à y entrer, d’une manière ou d’une autre – entendez dans cette assertion par imagination (donc la fiction) ou par effraction (donc la réalité). La spirale va aller forcément en s’accélérant, produisant toujours plus de désarroi et de questionnement sur l’authenticité des scènes que nous découvrons. François Ozon n’est jamais meilleur que lorsqu’il travaille sur le trouble et l’étrangeté et, après Sous le sable en 2000, Dans la maison s’annonce sans conteste comme une de ses meilleures réalisations. Il réussit même à semer le doute jusqu’à la localisation de l’histoire : les uniformes que doivent revêtir les lycéens, l’architecture très américaine de la maison qui cristallise les envies de Charles et celle très froide de l’établissement scolaire participent aussi au brouillage général des pistes. On retrouve dans la description et le filmage de la famille de la classe moyenne, qui inspire tant le protégé de Germain – en cela, un émule de Houellebecq ? – l’approche qu’on avait déjà connue dans Sitcom, œuvre inaugurale de François Ozon en 1998. Enfin, dans un clin d’œil cinéphilique, plane sur l’ensemble du film l’influence de deux immenses œuvres, toutes deux italiennes : bien sûr Théorème de Pier Paolo Pasolini, mais aussi et de manière moins visible, comme en filigrane, Mort à Venise de Luchino Visconti ; en effet, comment ne pas voir dans le blond androgyne Charles une résurgence de Tadzio et dans Germain une version moderne de Gustav von Aschenbach (d’ailleurs la langue allemande joue aussi son petit rôle). Dans la maison est donc bien un film complexe aux multiples grilles de lecture, film brillant à l’écriture particulièrement aiguisée et subtile, empruntant aux codes du thriller pour susciter excitation et émotion. Une réussite éclatante.
PatrickBraganti
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le 13 oct. 2012

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