Dans la nuit : cet unique long-métrage réalisé par Charles Vanel porte bien son nom. Rarement film muet français aura été aussi sombre. C'est vrai que la nuit y est omniprésente : au sens propre : la plupart des scènes (notamment dans la deuxième partie) se déroule la nuit, et au sens figuré : le personnage interprété par Charles Vanel, affublé d'un masque à la suite d'un accident, est contraint de vivre exclusivement "dans la nuit" (d'homme marié, heureux, comblé, il se transforme en être glacial, obscur, renfermé). Bref, autant vous prévenir tout de suite, ce film pessimiste vous plonge dans une obscurité des plus totales.
Charles Vanel est un immense acteur. Rappelons que cet infatigable figure du cinéma classique français a tourné dans plus de 200 films entre 1910 et 1988 (soit 78 ans, un record !). Au milieu de cette impressionnante filmographie, on retrouve deux films crédités en tant que réalisateur : Affaire classée (court-métrage, 1932) et Dans la nuit. Intéressant... Déjà, rien que le fait que celui-ci soit un one-hit wonder a quelque chose d'intrigant. Et puis on se demande comment cet acteur prestigieux s'est débrouillé en tant que réalisateur. Sorti en mai 1930, dans un cinéma français alors en plein essor du parlant, Dans la nuit est un échec commercial et passe inaperçu. Heureusement, il sera redécouvert et réévalué quelques années plus tard. Et c'est tant mieux car il faut bien admettre qu'il est ingénieux à plus d'un titre. Ingénieux dans une époque parfois encore trop sage et trop codifiée.
Rien que le scénario (écrit par Vanel himself) est alléchant : un ouvrier (Vanel toujours) mène une existence tranquille entre sa femme et son travail à la mine. Malheureusement, un accident viendra bouleverser son existence tranquille. Défiguré, il sera contraint de porter un masque. Il ne deviendra bientôt plus que l'ombre de lui-même et verra sa femme bien aimée se détacher de lui et être attirée par un autre homme. Un scénario simple, imaginatif, un peu tordu qui donne l'eau à la bouche. La mise en scène est inspirée. Vanel réussit à créer une atmosphère lugubre avec brio, qui confirme les promesses du scénario. De plus, autre choix notable, il choisit de préserver l'ambiance "cauchemar" jusqu'au bout. L'intrigue aurait pu donner lieu à un traitement trop mélodramatique (le mari qui déprime après l'accident, la femme qui le trompe...) Ici non, Vanel veut que ce soit sinistre, il s'y tient pendant tout le film. Le masque (un des symboles de l'Effroi) de son personnage n'a d'ailleurs rien de rassurant : Dans la nuit est un des pionniers (LE pionnier ?) en matière de "film-d'horreur-avec-un-tueur-qui-porte-un-masque". En 1929, nous sommes encore loin d'Halloween ou de Scream.
Aujourd'hui, nous pourrions reprocher à Dans la nuit d'être un peu sage et de manquer d'une certaine folie. Mais il faut replacer les choses de leur contexte, quand le film est tourné, nous ne sommes qu'1929 et ce film semble donc, assez dingue pour son époque. Le cinéma français avait déjà livré plusieurs œuvres ambitieuses : La Chute de la Maison Usher (Epstein), Napoléon (Gance), Un Chien andalou (Bunuel), L'Inhumaine (L'Herbier), Dans la nuit fait parti de celles-ci... On aurait peut-être apprécié davantage un scénario et un jeu d'acteur plus torturé. On s'attendait par exemple à un basculement du personnage principal dans dans la folie. Ou à un surcroît de passion entre les personnages. Ici, le traitement est froid, sans empathie. Ce n'est pas un défaut, au contraire, puisque cela tranche avec le cinéma dramatisant ambiant de l'époque. Vanel choisit de préserver une certaine part de réel et cette intention est louable. C'est d'ailleurs pourquoi Dans la nuit est plus film d'horreur que film fantastique.
Bref, Dans la nuit est un film sombre, original, ambitieux qui gagne à être redécouvert. Une pépite noire de cinéma désespéré.