Dans la peau de John Malkovich par Frankoix
Craig (John Cusack) est un marionnettiste sans le sou et incompris (il présente en pleine rue des spectacles très personnels et "osés" qui ne trouvent pas vraiment leur public). La nécessité le pousse à accepter un travail d'archiviste dans une étrange société, la Lestercorp, où il fait la connaissance de Maxine (Catherine Keener), une collègue dont il tombe immédiatement amoureux. Un hasard lui fait découvrir également une porte dissimulée dans son bureau, et qui mène directement...dans la tête de John Malkovich. Une opportunité incroyable qui va changer sa vie mais aussi celle de son épouse, Lotte (Cameron Diaz)...
Dix ans après sa sortie en salles, L'absurdité de "Dans la Peau de John Malkovich" est toujours déconcertante mais semble aujourd'hui assez laborieuse: Spike Jonze nous présente un univers surréaliste et timbré (la structure de travail et l'équipe de Lestercorp) pour justifier l'accès à la tête de l'acteur américain. Cette intrusion aurait paradoxalement eu beaucoup plus d'impact si elle s'était opérée dans un monde plus "ordinaire"...la surprise n'en aurait été que plus grande.
De la même manière, la bizarrerie des personnages accentue l'effet de distanciation: il y a dans le film une volonté constante de les rendre ou bien ridicules, ou bien trop abstraits: leurs réactions curieuses et souvent exagérées nous empêchent précisément de nous mettre "dans leur peau"...ils restent des étrangers déjantés mais sans réelle dimension. Spike Jonze hésite en permanence entre nous faire rire de leur côté saugrenu et loufoque, et tenter de leur offrir une profondeur véritable...Ainsi, aucune de ces deux directions n'est pleinement envisagée et de grandes trouvailles ratent leur cible.
"Dans la peau de John Malkovich" est un film trop conscient de sa propre originalité, et qui finit par ressembler à un sketch poussif et précipité (Maxine devient irrésistiblement attirée par Lotte lorsque celle-ci se trouve à l'intérieur de Malkovich...une excellente idée mais qui arrive trop vite et perd en crédibilité), alors que l'ensemble (certes comique et riche en surprises) est supposé être pris au sérieux et non pas comme une parodie chargée (la musique dramatique de Carter Burwell court-circuite toute idée de caricature).
Mais il faut louer la réussite de scènes attendues et formidablement conçues. L'entrée de Malkovich dans sa propre tête est un moment étonnant, troublant et très drôle: en sortant de lui-même, l'acteur déclare: "j'ai vu un monde maléfique qu'aucun homme ne devrait voir!". De même, la plongée dans son inconscient dévoile un florilège de souvenirs refoulés, de traumatismes de l'enfance étouffés...la mise en scène se fait alors plus créative et devient brillante, précisément car elle est à la hauteur de ses audaces scénaristiques et qu'elle fait honneur à l'idée de départ.
Il faut voir (ou revoir) le film pour ses audaces, pour son ton très particulier...qui, s'ils nous laissent sur notre faim, nous donnent néanmoins l'opportunité d'une visite singulière dans l'esprit d'un autre que soi.