Une chose à laquelle s'accordera (presque) tous, c'est que ce film est remarquable.

D'abord, dans la forme : L'ouverture du film est une petite trouvaille scénaristique (qui se déploie tout du long) très pertinente et qui permet une forme de critique ironique du film par lui-même. Pas la peine de s'y étendre davantage, mais la leçon est à prendre.
De la même manière, l'humour et l'amour distillés dans le film sont des ressources secondaires qui permettent un contre point bienvenu à l'intrigue.

Mais aussi dans le fond : Attention, big spoil ! Si ce n'est à mon sens que rarement grave de connaitre en avance le dénouement d'un film, ce n'est pas le cas pour celui-ci qui requiert un véritable « parcours » et donc l'annoncer trop tôt nuirait à mon sens gravement au film.
Précaution prise, je trouve donc qu'une autre grande subtilité du film est sa façon de poser le problème de la réclusion à perpétuité. S'il est à peu près admis (entre êtres civilisés j'entends) que la peine de mort est une sanction inadmissibles, la prison à perpétuité n'est pas non plus sans poser quelques problèmes moraux.
Donc le film amène très subtilement cette question. D'abord, par un crime particulièrement odieux, gore et révoltant. Ensuite, par une traque lente, laborieuse et quasi-désespérée du suspect, associée à une empathie forte avec le veuf de la victime, propre à engager viscéralement le spectateur dans son désir de justice (de vengeance ?) ce dont il est satisfait par l'arrestation d'un homme dont la culpabilité ne fait aucun doute, qui avoue et qui va presque jusqu'à revendiquer son crime. La justice opère et le condamne donc à perpétuité. Seulement, par une explication rapidement expédiée (ce qui est absolument nécessaire à l'effet recherché par le film, sa culpabilité ne peut-être amenuisée), l'homme est relâché et se trouve être intouchable. De plus, il devient menaçant pour le procureur et ses associés. Mais c'est alors que le scénario nous détourne de l'homme et de son crime par l'abandon nécessaire de l'enquête. S'opère un retour au présent, 25 ans plus tard. Le procureur retraité rend visite au veuf de la victime et découvre que celui-ci retient prisonnier depuis lors le coupable du crime de sa femme.
Naît donc nécessairement un sentiment de compassion pour cet homme retenu prisonnier, augmenté par la « violence » de l'ellipse de 25 ans. Le spectateur est contraint (soit immédiatement, soit rétrospectivement devant l'ignorance de la décision du personnage principal) de se poser la question de la légitimité de cet emprisonnement d'autant plus que toutes les précautions ont été prises par le scénario : l'homme est assurément coupable, la justice l'a bien condamné à perpétuité et sa libération ne faisait aucun sens. Aussi, bien que caché et enfermé, rien ne permet de dire que ses conditions de détention soient significativement plus ignobles que s'il fût en prison. Et, à mon sens, le dilemme de la légitimité de la réclusion à perpétuité n'aurait probablement pas pu se poser aussi radicalement que s'il était resté en prison, probablement du fait que « l'impersonnalité » de la justice et de l'entreprise carcérale rend difficile sa remise en cause. Tandis qu'ici un homme incarne la peine et même incarne la légitimité de la peine (peine quasi légale puisqu'à l'origine prononcée par la justice). Or il est plus facile de remettre en cause un homme qu'une institution.

Bien sûr, se pose aussi cette éternelle question du droit de « se faire justice », mais je crois qu'elle est subordonnée à celle de la réclusion à perpétuité et j'estime ce film pour avoir su amener avec une grande justesse le spectateur devant cette question délicate.
Homlett
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le 2 févr. 2011

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Homlett

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