Dans cette atmosphère automnale qui s’installe déjà, dans le tumulte de la rentrée, une parenthèse sereine et hors du temps semble tout à fait bienvenue. Et pour ce faire, un voyage dans le Japon de Dans un jardin qu’on dirait éternel paraît tout indiqué.
Années 1980, une petite fille va voir La Strada de Fellini avec ses parents, mais le film ne l’enchante guère. Elle aurait préféré voir le Disney à l’affiche ! 1993, la petite fille a grandi et commence ses études supérieures. Elle doit trouver sa filière qui lui permettra de déterminer à quoi elle va « consacrer sa vie ». Pendant ce temps, elle passe une partie de son temps libre à découvrir l’art du thé avec sa cousine auprès de Madame Takeda, qui enseigne cet art depuis de nombreuses années après l’avoir appris elle-même. Un art fait de gestes millimétrés issus de lointaines traditions, aux enseignements qui vont bien au-delà de la seule maîtrise de la préparation du thé.
Dans cette maison traditionnelle, le temps semble respecter des lois tout à fait différentes que dans le monde extérieur. Ici, tout est question de minutie, de soin, de maîtrise à travers la répétition et l’imprégnation. On apprend progressivement, très progressivement, au gré des saisons. L’apprentissage demande du temps et de toujours répéter le même geste, comme le film l’illustre, en se focalisant sur la découverte de l’art du thé avant tout, plaçant le parcours des jeunes femmes en arrière-plan, celui-ci avançant par bribes entre deux leçons. Dans un jardin qu’on dirait éternel oppose l’immédiateté du monde extérieur à cet art hors du temps, laissant également au spectateur le soin d’observer, de capturer des instants de vie, et d’en faire émaner l’essence.
Nous pourrions légitimement ressentir un certain ennui devant la répétition de certaines scènes, face à ces innombrables ellipses, nous faisant nous demander où nous allons, quelle va être notre destination. Mais, en réalité, ce que nous pourrions qualifier d’ennui s’avère salutaire et essentiel. La volonté chez le spectateur de trouver une fin, un but, correspond à la société ici décrite, où l’on cherche un but à notre existence à tout prix, quand ce qui nous est enseigné ici est de nous imprégner, de faire fi de tout cela pour chercher quelque chose d’à la fois plus grand et intime. Tout paraît superficiel comparé à cette éternité qui nous touche, dans le frémissement des feuilles, le bruit de la pluie qui tombe, ou la vision d’un paysage enneigé. Comme purent le faire les Kurosawa et les Tarkovski, le temps se manifeste par ces choses qui paraissent anodines, mais qui, lorsqu’on leur prête attention, prennent une toute autre dimension. Dans tout cela, le film de Tatsushi Omori offre un ultime rôle symbolique et émouvant à la regrettée Kirin Kiki.
S’il s’y intéresse grandement, Dans un jardin qu’on dirait éternel n’est pas juste un film sur l’art du thé. Il offre une autre vision du monde, délaissée de nos jours dans un monde où tout va vite et où l’on a tendance à céder aux pressions d’une société qui nous presse. C’est un point de vue sur la société moderne, mais aussi sur notre rapport au monde et au cinéma lui-même, nous instruisant sur notre propre regard en tant que spectateur. Un spectateur qui percevra la routine, la lenteur, voire l’ennui, comprenant l’intérêt de chacun en choisissant lui-même d’adapter son regard, et laissant alors ce doux film infuser comme un bon thé.
Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art