En résumé : À voir si vous aimez l’animation traditionnelle, en volumes ou les marionnettes… et en acceptant de dépasser des prémisses un peu clichées.
Je sais. Le scénario est linéaire, se base sur plein de poncifs qui me gonfleraient à présent : l’orphelin, la prophétie toussa… Mais j’avais 10 ans, c’était absolument inédit et plusieurs séquences bien sombres m’ont marqué à jamais, autant qu’Alien le ferait plus tard (rrha le podling qui se fait vampiriser l’essence vitale en haletant de ouf !). Je regarde donc toujours ce film avec des yeux d’enfants et peu d’objectivité. Surtout que, contrairement à certains lieux qu’on revisite adulte, tout me semble toujours aussi grand qu’avant !
Je sais que certains personnages sont pas trippants, comme les vieux sages qui sont trop mous pour avoir appris à Jen ce qu’il aurait dû savoir depuis longtemps, lui permettant de débouler tout équipé au bon moment. Voire le mener avec eux sous leur protection (puisqu’ils commandent aussi aux créatures du Cristal). Mais leur mollesse est essentielle à la compréhension de l’histoire, j’y reviendrai.
Je sais qu’il y a aussi un certain manque d’humour (à part peut-être le « Bien sûr que non, tu es un garçon ! »… si on trouve ça drôle) mais si c’est pour avoir des faire-valoirs casse-couilles comme les lutins de Willow, énervants et inutiles, je suis très bien avec la tension permanente de « Dark Crystal ».
L’empereur qui se désintègre, le Chambellan qui se fait déplumer en hurlant comme s’il se faisait éventrer, l’oeil d’Aughra, Aughra, les Garthims, la voix hypnotique du chambellan dans le temple, le vol d’essence de vie, le vieillissement en accéléré… C’est un bijou de dark fantasy. Je ne viens et reviens pas dans ce film pour les prémisses qui sont sans originalité, je viens pour l’ambiance, l’univers et la façon dont les choses sont racontées.
Un univers vaste et physique, les montagnes rocheuses sèches et leurs plantes mobiles, les marais humides aux formes de vie foisonnantes, les alentours mourants du château où subsiste une vie ténue… Le tout soutenu par une musique de bonne facture, de nombreux thèmes, des moments où soufflent un vent épique jusqu’aux passages mélancoliques d’un solo de flûte fragile.
Je suis très sensible aux marionnettes comme à l’animation en volume, je trouve donc particulièrement mon compte dans ce genre d’œuvre, les seuls moments qui me déçoivent sont finalement les rares plans où je vois un enfant dans un costume. Ceci dit, ce n’est pas juste un spectacle de marionnettes filmées. C’est un vrai film avec des choix de plan, cadrages, angles, travellings, montage. Et par le langage cinématographique aussi, j’ai des souvenirs indélébiles.
Au-delà de tous ces éléments qui font ma joie et mon frisson à chaque visionnage (certainement une 20aine de fois, sans compter la musique que j’écoute par ailleurs…). Il y a le sous-texte qui m’a toujours séduit. D’une part la confrontation à la peur, l’étrange, la mort et pas que de façon terrifiante (la réflexion d’Aughra sur la mort du Maître de Jen qui serait « partout » maintenant). Ensuite une pensée de fond sur ce qui fait nos émotions et sentiments. Une réflexion qu’on retrouve dans Star Wars ou Harry Potter : les méchants ont peur de la mort et font le mal en tentant de garder une jeunesse illégitime ou d’atteindre l’immortalité (à rapprocher d’un Reich qui dure mille ans ?). Là où les gentils atteignent l’immortalité en acceptant de faire partie d’un plus grand tout de façon paisible et humble (les Jedis fantômes). Ça rend tout de suite le côté manichéen moins idiot.
Et sous ce verni manichéen se niche une couche plus subtile, où les « gentils » ont des défauts aussi. Ils sont certes paisibles, érudits, artistes mais ils manquent d’initiative. Les « méchants » possédés par une faim insatiable, de l’agressivité, de l’arrogance et d’autres prétentions égotiques, auraient en réalité les qualités faisant défaut aux « gentils ». En ne faisant plus qu’un - les gentils recouvrant les méchants comme un cortex chapeaute un cerveau reptilien (ou, pour les adeptes de la psychanalyse, la façon dont le surmoi et le moi s’articulent, j’imagine) – ils retrouvent la capacité d’action associée à la réflexion et le goût d’entreprendre lié à la mesure. Ils laissent cette leçon en héritage aux Gelfling (et donc à nous spectateurs qui avons suivi l’aventure de Jen).
Jim Henson avait beaucoup d’ambition pour ce film, je le trouve d’ailleurs plus sérieux et plus réussi que « Labyrinth » (mais j’étais aussi plus âgé quand j’ai vu ce dernier...). J’avais vu une version de fan basée sur les premières velléités d’Henson, où les Seksès parlaient une lange incompréhensible. C’était encore plus angoissant avec la barrière de la langue, Jen se mettant à vivre son aventure comme un immigré clandestin. Même si ce choix a été abandonné, ça montre le soucis de sérieux qu’Henson avait pour ce film et que je ressens encore à ce jour.
Dernière chose, une des beauté du film est de proposer un univers neuf et pas une adaptation. En cela il est très proche de l’effet qu’à pu produire Star Wars quand il est sorti : Une contribution neuve à l’imaginaire humain dans son langage propre. Je peux apprécier une bonne adaptation mais c’est plus grisant d’avoir d’un côté l’univers du Hobbit et du SdA en livre (avec quelques belles illustrations je vous l’accorde) et de l’autre Dark Crystal en film, chacun étant libre d’apporter un élan neuf à son média. Je suis content que le SdA existe en film (Le Hobbit, je ne sais toujours pas si je le regarderai un jour) mais ça ne m’a rien apporté dans le fond là où le livre est une de mes œuvres phare, tout comme l’est Dark Crystal dans l’univers cinématographique.
Pour moi, dans son genre et avec la technique des marionnettes, c’est un chef-d’œuvre.
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10/10
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