Si on devait désigner la némésis absolue des feel-good movies, ces films qui cherchent par tous les moyens à vous coller un sourire au visage par leur bonne humeur contagieuse, "Dark Crimes" serait sans doute dans la top-liste des candidats à ce titre grâce à son don incroyable de vous donner envie de vous pendre avec vos propres veines après avoir déguster un délicieux cocktail médicamenteux. Son titre avait beau nous prévenir de son côté daaaaark, rien ne vous avait préparé à son ambiance d'une noirceur absolue autour d'une intrigue policière avançant sur un rythme qui ferait passer n'importe quelle aventure de l'inspecteur Derrick pour un spin-off de la saga "Fast & Furious".
Dans une Pologne composée à 80% de décors vides à base de murs décrépis, un inspecteur de police en mal de reconnaissance déterre une vieille affaire après avoir remarqué que les écrits d'un romancier correspondaient d'un peu trop près au mode opératoire du meurtrier jamais identifié...
On ne peut pas crier au film complètement raté devant "Dark Crimes". La noirceur de l'approche est justifiée avec ce policier se retrouvant englouti dans des proportions de plus en en plus terribles par les ténèbres de ce vieux dossier prenant sa source dans un club clandestin très glauque. La véracité de ce fait divers (rendu célèbre par un article du New Yorker en 2008) sur laquelle le film appuie ses grandes lignes participe aussi à y apporter une atmosphère particulière tout comme le parti pris absolu d'une mise en scène sans artifice. Et, finalement, dans sa globalité, la construction du long-métrage révèle une certaine logique dans sa part d'obscurité ascendante au vu des différents rebondissements de la dernière demi-heure (le dernier face-à-face réussi en est d'ailleurs le point d'orgue). Même les acteurs ne sont pas mauvais, Jim Carrey est plus que possédé par son rôle, Charlotte Gainsbourg se révèle dans son personnage au fur et à mesure des événements et Marton Csokas est un voleur de scènes à l'efficacité redoutable. "Dark Crimes" a donc certaines qualités -du moins de vraies bonnes intentions- alors pourquoi diable le film est-il autant un calvaire à suivre ?
Eh bien, il en fait tout simplement trop dans ce choix d'austérité jusqu'au-boutiste et ce à plusieurs niveaux. D'abord, la réalisation ne cherche tellement pas les excès qu'elle en devient relativement pauvre, se contentant de suivre les déambulations de son héros sans parvenir à y insuffler la moindre tension quant à la résolution de ce polar qui se traîne dans des longueurs où, parfois, la seule grande action d'une séquence se résume à voir Jim Carrey franchir une porte (autant dire que l'on frissonne comme des petits fous lorsqu il en défonce une d'un pied à un moment !). On n'a rien contre une certaine lenteur vectrice de scènes pesantes mais, ici, il n'y en a que l'état de léthargie permanent dans lequel nous plonge le film qui est vraiment pesant.
Il en va de même pour tout cet apparat superficiel de noirceur entourant les personnages... À part des touristes suicidaires, on ne voit plus trop qui aura envie de visiter la Pologne après l'avoir découverte à travers le film, le pays en est réduit à une caricature esthétique post-URSS dont on nous rappelle l'historique difficile par quelques allusions (trop) appuyées. C'est également le cas des personnages en commençant par le héros, agglomérat ambulant de tous les clichés que l'on peut imaginer d'un flic désabusé et obsessionnel, le film tente vainement de l'humaniser grâce à ses rapports familiaux mais, si l'on excepte la prestation de Jim Carrey, rien ne parvient à l'extirper de son image figée. Les autres personnages ne sont pas mieux lotis, plus particulièrement les femmes réduites à de simples figures castratrices ou de réceptacles des pires perversions masculines (bon, on pourrait arguer que tout ça n'est pas innocent vu le déroulement de l'histoire mais le procédé tombe sans arrêt dans les pires facilités).
Enfin, perdu dans la rigidité de sa glauquerie de façade, le film peine tout simplement à nous passionner pour son enquête à travers ses développements. "Dark Crimes" loupe le coche de tirer profit du côté forcément fascinant de cet écrivain qui a couché sur le papier l'apparente réalité de ses propres ignominies (c'est tout même le sel de l'ensemble de l'affaire) et préfère se concentrer sur la leeeeente chute de son héros qui ne trouvera un sens que dans les dernières minutes pour les rares spectateurs qui ne se seront pas encore endormis.
"Dark Crimes" se retrouve donc pris au piège de ses propres ténèbres qu'il veut nous transmettre, son côté sombre le fait plonger dans toutes les exagérations possibles qui ne peuvent que toujours desservir un peu plus notre intérêt pour ce polar rythmé à la façon d'un somnifère pour bulots paralytiques. Et, en ne misant que sur ses ultimes révélations afin de donner du sens à son intrigue, "Dark Crimes" ne provoque que de l'ennui, de l'indifférence ou ce sentiment de traverser un désert sado-masochiste polonais dont aucun géographe tordu n'avait encore soupçonné l'existence...