C’est un fait. La philharmonie de Paris ressemble à un gigantesque étron écaillé d’argent.
Mais s’il y a bien une exposition à y voir, une exposition unique, historique, mais aussi et surtout éphémère, c’est bien David Bowie Is.
Bowie caméléon schizophrénique, adepte de l’art total, multiple dans ses personnages (de Ziggy Stardust au Thin White Duke, en passant par Aladdin Sane, Halloween Jack..) et ses influences (Little Richard son premier choc musical, Lindsay Kemp son maître-mime, William S. Burroughs, les films expressionnistes allemands…), Bowie insaisissable ayant toujours trois longueurs d’avance sur le reste lorsqu’il ne s’égare pas dans sa quête, comme cela lui est arrivé.
Bowie instigateur, inspirateur, et dieu bien vivant. Il a d’ailleurs prêté lui-même une partie des 75 000 objets sur sa personne qu’il conserve et archive religieusement depuis des années ; objets qui constituent 90% de l’expo. Ou quand la mégalomanie passe à l’état d’art.
Partie de Londres, cette exposition regroupe donc l’essentiel du matériel ayant fait le mythe Bowie. Resitués dans le contexte musical et culturel de l’époque, ces fragments de la vie et de l’œuvre du monstre sacré permettent une réelle mise en perspective.
Et cela va du plus marquant, notamment ses manuscrits originaux de chanson, et ses costumes les plus légendaires :
…au plus insolite :
- un mouchoir où il a essuyé son rouge à lèvre, lui qui a révolutionné par son image les barrières des genres, aussi bien sexuels que musicaux ;
- une lettre signée officialisant le nom de scène de David Jones aka David Bowie;
- la boule de cristal du film Labyrinth, Bowie s’étant essayé avec plus (Furyo) ou moins (ce film) de succès au cinéma ;
- ou encore un paquet de jeu de carte « Oblique Strategies » imaginé par Brian Eno et Peter Schmidt en 1975 pour générer des paroles de chanson aléatoire, technique chère à Bowie qu’il utilise d’abord par le biais de collages inspirés de Burroughs, et même avec un logiciel qu’il créera :
Et puis il y a la dernière salle.
…
Au détour d’une allée, je me retrouve en plein concert.
Les murs ne sont pas des murs, ce sont des cubes transparents renfermant des habits de scène, et ces vitres ne sont pas des vitrines, mais des écrans. Un kaléidoscope de lives les recouvrent, parfois si totalement que les costumes ne sont plus alors qu’une silhouette à peine discernable, toujours reconnaissable. Et où que l’on tourne la tête, où que l’on écoute, c’est Bowie, encore, toujours. Son regard, sa voix, démultipliés, éclatés aux quatre coins.
Au centre de la pièce, l’écoute est religieuse. Tous sont assis et silencieux. Tous sauf une petite fille en leggings imprimés. Avec application, elle étire autant qu’elle le peut sa jambe sur le sol pour imiter la position improbable d’un Ziggy arachnéen, réduit à l’état de mannequin déguisé.
Et encore une fois, pour le plaisir d’une enfant, l’homme se dédouble.
Car Bowie s’est toujours posé en inspirateur transgressif. Et n’a eu de cesse de créer des clones, des progénitures mutantes, des descendants éloignés.
Soudain, l’insolent Ziggy apparaît en T-Shirt résille.
« This particular show will remain with us the longest… because not
only it’s the last show of the tour, but it’s the last show that we’ll
ever do »
explique-t-il posément au public hystérique du Hammersmith Odeon Theater de Londres en ce 3 juillet 1973, public médusé qui ne sait plus s’il doit hurler d’excitation, de rage, de bonheur ou de désespoir.
Rock n’ roll suicide.
La musique monte, la salle d’exposition tourne rouge sang, et le mien me monte progressivement dans tout le corps par vague durant ces 5 dernières minutes de vie de Ziggy.
Puis les lumières s’éteignent.
Et se rallument sur un Bowie, la cinquantaine passée, chantant Heroes.
C’est un fait. Jamais nous n’irons à un concert de Bowie, ni même n’aurons la chance de le voir. Pour beaucoup d’entre nous, surtout de ma génération, il demeure un monstre sacré inatteignable. Pourtant, aujourd’hui, j’ai eu quelque part l’impression fugace de m’être rapprochée du mythe.
Mais allez donc voir ça de vos propres yeux et l’écouter avec vos propres tympans, et me dire ce que vous en avez pensé.