L’école est un carrefour entre les mondes. Celui du passé et du futur, celui de la famille et du monde extérieur, celui de la découverte des autres et l’apprentissage de soi. Il est parfois difficile de définir précisément le rôle primordial de l’école, au-delà de son aspect institutionnel et éducatif, car cette antichambre de la société, appelons l’école comme cela, peut devenir aussi salvatrice que destructrice.


De Bruit et de fureur de Jean Claude Brisseau ne diagnostique pas à proprement parler l’école en tant que telle. Ce n’est pas le sujet principal, qui lui, tend à dessiner les stigmates sociaux des banlieues dans les années 90, cette montée de la misère sociétale, de l’indifférence gouvernementale face à cette classe sociale, mais aussi et surtout d’une violence humaine qui ne fait que monter en cascade. Pourtant, l’école et sa représentation tiennent une place importante dans cette œuvre, à la fois pour montrer cette porte de sortie qu’est la classe, cette bouffée d’air frais qu’est le regard compatissant d’un professeur qui n’est en aucun cas là pour juger, mais qui, malheureusement, se trouve aussi être une sorte de zone floue, impuissante face aux faits de société, aux mœurs adolescentes (le sexe) et dont l’autorité est remise perpétuellement en cause par cette haine grandissante dans les rapports hiérarchiques.


Alors qu’un élève (Jean-Roger) a agressé une de ses enseignantes et qu’il a créé une « émeute » dans sa classe, se pose la question de son renvoi. A ce moment-là, en pleine réunion, alors qu’on lui explique que le jeune homme se trouve dans une situation familiale compliquée et que s’il est exclu temporairement, il est potentiellement libre de traficoter avec des bandes du quartier, le proviseur explique que ces faits-là ne sont pas de son ressort mais bien de la police. C’est alors que De Bruit et de fureur explicite avec force et tangibilité, tous les travers d’un système mort-né : celui d’une sphère enseignante, solidaire ou parfois lâche, qui n’est pas préparée ni formée ni aidée face à des jeunes élèves laissés à l’abandon par leur famille ou leur environnement journalier.


Jean-Claude Brisseau, lui même enseignant avant de se mettre à la réalisation, ne porte pas forcément les institutions dans son cœur, y voyant par moments, de simples zones grises déshumanisées qui mettent de côté l’humain pour en faire un simple pion et un chiffre du système. Outre sa vision naturaliste et viscérale de la banlieue, engluée dans des bâtiments grisâtres et dans les flammes nocturnes d’une violence sanglante qui tue sans relâche, où la jeunesse joue avec les humains comme on joue avec des animaux, Jean-Claude Brisseau toise du regard quelque chose de précis et qui est le nerf de la guerre de De Bruit et de fureur : l’éducation. C’est avant tout un film qui parle d’éducation, de transmission et d’écoute de l’autre. Que cela soit par le biais d’un père, contrebandier, armé jusqu’aux dents, violent, idiot et détruit par la guerre et les traumas qui en découlent, un proviseur absent qui souhaite uniquement ne pas faire de vague auprès du rectorat, une enseignante empathique et prête aux heures supplémentaires pour éveiller la curiosité et la confiance en soi d’un élève sans famille, une assistance sociale agressée par la folie et la misère des familles qu’elle rencontre, des élèves turbulents qui suivent le mouvement et l’effet de meute car c’est la seule manière de s’insérer dans un contexte affectif, pour enfin ne plus entendre que « tu es un bon à rien » ou que « tu dois montrer que tu es un vrai bonhomme ».


L’école est ce croisement des chemins, aussi mouvant qu’inerte. Ce n’est pas en soi un point de bascule déclencheur, ou alors peut-être dans certains cas, mais elle se voit souvent déresponsabilisée de son rôle d’éveil de liberté et d’insertion collective, de par un quotidien social bien trop lourd à porter pour une institution, qui a ses propres limites endolories par son cadre restreint. La jeune enseignante aura beau aider Bruno, lui redonner goût à la recherche et au questionnement, et dans un sens, incarner une mère qu’il n’a jamais « eue », la réalité rattrapera vite cette parenthèse enchantée pour se finir dans le désespoir et un coup de feu prémonitoire. Quel est le début et la fin de la mission de cette institution? Éducatrice, mère de substitution, zone de réinsertion… Le film ne répond pas à la question, mais observe l’école comme un faisceau, un maillon de la chaîne qui se devrait d’être plus important que les autres, mais qui au final, subit plus qu’il ne change les choses.


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Velvetman
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le 3 déc. 2020

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